Une loi dangereuse et scélérate est en cours de d’élaboration par les députés de l’Assemblée Nationale à la suite de la proposition de loi émanant du Sénat votée à l’unanimité.
C’est un coup d’esbrouffe, car le narcotrafic et plus largement les organisations criminelles se nourrissent de ces approches répressives. Il n’y a qu’à constater les dégâts causés par la prohibition de l’alcool aux Etats Unis.
Aujourd’hui, la dimension internationale et l’impact de l’économie parallèle sur la société française ne sont pas anodin et on peut légitimement se poser la question de l’efficacité d’une politique de l’interdit et de la chasse aux personnes qui consomment des stupéfiants... pour "sortir la France du piège du narcotrafic".
Mais plutôt que de réguler le marché pour à la fois garantir la qualité des produits et leurs prix, assurer une meilleure prévention (notamment par la séparation des marchés et l’interdiction d’accès aux mineurs), tout en percevant des taxes, l’Etat est enferré dans une logique de l’état policier instauré par une loi d’exception N°70-1320 "RELATIVE AUX MESURES SANITAIRES DE LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE, ET A LA REPRESSION DU TRAFIC ET DE L’USAGE ILLICITE DES SUBSTANCES VENENEUSES", modifiée près de 80 fois depuis son adoption le 31 décembre 1970.
Cette nouvelle loi "pour sortir la France du piège du narcotrafic" aura bien d’autres impacts sur la société, comme le soulignent les plaidoyers (ci-dessous) de la Quadrature du Net, de l’association Droit au Logement, de la Ligue des Droits de l’Homme...
DAL
L’association DaL - Droit au Logement rappelle un autre des nombreux dangers que cette loi introduit : https://www.droitaulogement.org/2025/03/retrait-de-larticle-24-de-la-loi-narcotrafic/
Retrait de l’article 24 de la loi « Narcotrafic » et de ses mesures liberticides !
Retrait de l’article 24 de la loi « Narcotrafic » et de ses mesures liberticides !
Après passage en commission à l’Assemblée, les expulsions arbitraires et injustes sont maintenus :
La commission des lois à l’Assemblée a modifié vendredi l’article 24 de la loi « Narcotrafic », sans changer le fond, effaçant les parties les plus incohérentes de l’article issu du Sénat :
– D’une part le trouble aux abords du logement est maintenu, sans définition de la nature du trouble qui donc peut être une simple infraction sanctionnée par une amende et sans définition du périmètre des « abords du logement » qui peut s’étendre au quartier, voire plus.
Il y a donc toujours risque d’expulsion de familles entières pour des infractions mineures, comme par exemple le dépôt d’encombrants sur le trottoir, ou le bruit récurent d’enfants jouant sur le trottoir … Donc une sanction disproportionnée avec le trouble reproché et sans rapport avec l’objet de la loi. Tout au plus, le juge disposera d’une marge de manoeuvre, l’expulsion n’étant plus automatique (acquisition de la clause résolutoire)
– D’autre part, le principe de « l’expulsion représailles » est conservé, frappant des personnes étrangères au délit (les autres membres de la famille) et constitue pour l’auteur de l’infraction une double peine.
Rappelons que le dispositif vise tous les locataires y compris le secteur locatif privé.
Par ailleurs la fédération DAL rejoint les associations qui s’élèvent contre les graves atteintes aux libertés individuelles et collectives portées par cette proposition de loi.
Une situation dénoncée par une quarantaine d’associations, dont la Ligue des Droits de l’Homme.
QUADRATURE DU NET
https://www.laquadrature.net/narcotraficotage/
Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Au milieu du tumulte médiatique sur le trafic de drogues, une loi relative au « narcotrafic » est en train de passer au Parlement. En réalité, ce texte ne s’applique pas seulement à la vente de stupéfiants et conduit à renforcer lourdement les capacités de surveillance du renseignement et de la police judiciaire. Il s’agit d’un des textes les plus répressifs et dangereux de ces dernières années.
Cette loi pourrait notamment donner encore plus de pouvoirs pour réprimer les actions militantes. Elle a été adoptée au Sénat à l’unanimité, avec l’adhésion des socialistes, des écologistes et des communistes, et va désormais être discutée à l’Assemblée nationale. La Quadrature du Net appelle à se mobiliser de toute urgence afin d’alerter sur les dangers de ce texte et bousculer les partis de gauche pour qu’ils rejettent ce texte.
Sur cette page, vous retrouverez un ensemble de ressources et d’outils pour vous permettre de comprendre cette loi et convaincre vos élu⋅es de se mobiliser :
La loi dite « Narcotrafic » attaque la protection des messageries chiffrées (comme Signal ou WhatsApp) en imposant la mise en place de portes dérobées pour la police et le renseignement.
En modifiant le régime juridique de la criminalité organisée, applicable en d’autres cas, cette loi ne s’applique pas uniquement au trafic de drogues. Elle peut même être utilisée pour surveiller des militant·es.
Le dossier-coffre, une disposition de la loi, rend secrètes les pièces d’un dossier détaillant les modalités de l’utilisation des techniques de surveillance lors d’une enquête. Cela porte atteinte au droit de se défendre et a pour conséquence d’empêcher la population de connaître l’étendue des capacités de surveillance de la police judiciaire.
Le texte prévoit d’autoriser la police à activer à distance les micros et caméras des appareils connectés fixes et mobiles (ordinateurs, téléphones…) pour espionner les personnes.
Il élargit l’autorisation d’usage des « boîtes noires », technique d’analyse des données de toutes nos communications et échanges sur Internet à des fins de « lutte contre la délinquance et la criminalité organisée ».
La police pourra durcir sa politique de censure de contenus sur Internet en l’étendant aux publications en lien avec l’usage et la vente de drogues. Les risques d’abus pour la liberté d’expression sont donc amplifiés.
Le texte a été discuté par la commission des lois entre le 4 et le 7 mars et sera débattu à partir du lundi 17 mars dans l’hémicycle.
LIGUE DES DROITS DE L’HOMME
Proposition de loi « Visant à sortir la France du piège du narcotrafic »
Note de la LDH
La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, adoptée au Sénat le 4 février 2025 dans le cadre de la procédure accélérée devrait être examinée par l’Assemblée nationale à partir du 17 mars.
Au 3 mars 2025, 500 amendements avaient été déposés sur ce texte.
Concernant les prisons de haute sécurité (analyse en fin de note), si Gérald Darmanin a précisé ne pas avoir « besoin de loi » pour instaurer ce strict régime carcéral, le garde des Sceaux a aussi déclaré qu’il soumettrait au vote de l’Assemblée nationale la création de prisons de haute sécurité par voie d’amendements gouvernementaux dans le cadre des débats parlementaires autour de la proposition de loi déjà adoptée en première lecture au Sénat..
I – Observations générales
– Le titre et les motifs de la proposition de loi sont expressifs d’une volonté de répression renforcée : « frapper au portefeuille, enjeu de taille pour éviter le sentiment d’impunité », « la prison n’effraie plus les trafiquants », « le narcotrafic » serait une « menace pour les intérêts fondamentaux de la nation » (expression qui n’est pas anodine mettant sur un même plan la lutte contre le trafic de stupéfiants et la lutte contre les atteintes à la sûreté de l’Etat).
Certes, le trafic de stupéfiants constitue un fléau social. Mais la lutte contre celui-ci ne doit pas se faire au prix d’une réduction des droits et libertés et d’une atteinte aux droits fondamentaux.
– Il s’agit d’une proposition de loi, donc faite sans étude d’impact ni d’avis du Conseil d’Etat, ce qui est regrettable eu égard à l’ampleur des modifications législatives, surtout après les amendements des sénateurs et les futurs amendements des députés. Le rapport de la commission d’enquête qui a conduit au dépôt de la proposition de loi ne saurait remplacer ni l’étude d’impact ni l’avis du Conseil d’Etat. Le gouvernement a également engagé la procédure accélérée réduisant ainsi la durée d’examen des dispositions modifiant des pans entiers de divers codes.
– Cette proposition s’inscrit dans le sillage des textes sécuritaires antérieurs : une inflation législative qui porte atteinte à la cohérence du droit criminel et à la sécurité juridique (deux autres propositions de lois ont été inscrites à l’ordre du jour, l’une en matière de responsabilité pénale des mineurs, l’autre en matière de sécurité dans les transports). Or, la prévisibilité des règles est particulièrement importante en matière pénale. Faute d’assurer le financement de moyens humains et matériels, les pouvoirs publics entendent agir sur les normes.
– La proposition de loi est inspirée pour partie, de manière non pertinente, de la législation italienne anti-mafia (par exemple, le rôle des informateurs, le statut des collaborateurs de justice, les exemptions et réductions de peines pour les repentis) alors que cette législation n’a pas eu l’efficacité attendue et la France n’est pas dans la situation de l’Italie, de la Colombie, du Mexique ou du Brésil où existent de véritables cartels de la drogue.
– Cette proposition de loi constitue une nouvelle altération de l’Etat de droit. Toutes les fois qu’une norme gêne l’action publique, gêne l’Etat en action, les pouvoirs publics s’en affranchissent, la contournent ou la modifient, en portant atteinte aux droits et libertés. En l’occurrence, on peut y voir aussi une charge inédite à l’encontre du droit au recours (article 6 CEDH) qui fait pourtant partie intégrante du droit à un procès équitable, ainsi qu’aux droits de la défense, les avocats étant particulièrement sur la sellette.
– La lutte contre le trafic de stupéfiants n’a pas attendu la proposition de loi. Déjà le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code de la santé publique, le Code de la sécurité intérieure comportent de nombreux articles, parfois dérogatoires au droit commun (par exemple, pour la durée de la garde à vue, ou la possibilité d’intervention d’un avocat en garde à vue à l’extinction de l’action publique…).
– Cette proposition de loi marque un échec des politiques publiques menées jusque-là en la matière. Les politiques pénales ont plutôt été orientées vers la délinquance de rue, vers l’usage de stupéfiants (permettant de faire du chiffre avec des enquêtes traitées aussitôt qu’elles sont ouvertes) plutôt que de s’orienter vers des procédures complexes, donc chronophages, mobilisant des enquêteurs sur une longue durée. Et la réforme ne comporte aucun volet social ni de santé publique. La répression l’emporte, par conséquent, sur la prévention.
– Le principe de légalité des délits et des peines, principe constitutionnel et conventionnel, exige que l’incrimination (et la peine) doit être définie de manière claire, précise et intelligible (Conseil constitutionnel 19-20 janvier 1981 : il appartient au législateur de « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire »).Or, la proposition de loi, surtout avant les amendements des sénateurs, était du style (pour un grand nombre de dispositions) des textes censurés, dans d’autres domaines, par le Conseil constitutionnel.
– Se posera un autre problème de constitutionnalité car de nombreuses dispositions peuvent apparaitre comme des cavaliers législatifs, des amendements ne présentant pas un lien, même indirect, avec le texte déposé, selon l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel 13 août 2015, DC 2015-719, 26 cavaliers ; Conseil constitutionnel 26 janvier 2017, DC 2016-745, 36 cavaliers ; Conseil constitutionnel 25 janvier 2024, DC 2023-863, 35 cavaliers).
En effet, la proposition de loi visait le narcotrafic, les amendements ont étendu la portée du texte à la quasi-totalité de la criminalité organisée, à l’exécution des peines dans les établissements pénitentiaires, et vont aussi jusqu’à modifier, de manière substantielle, certaines dispositions du Code de la sécurité intérieure, en matière de renseignement.
Pour lire la suite du plaidoyer de la Ligue des Droits de l’Homme, cliquez ici.
Un Die-In symbolique, dans l’enceinte des Nations unies à Vienne devant le stand pour mettre en avant les exploits de la Police anti-narco des Philippines quand son ancien Président Rodrigo Duterte était le fer-de-lance d’une répression féroce par des exécutions extra-judiciaires faisant plusieurs milliers de morts. Une politique qui lui vaut aujourd’hui son arrestation pour être jugé par la Cour Pénale Internationale. https://cannabissansfrontieres.org/l-arrestation-de-rodrigo-duterte,1584.html