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HOMMAGE

Lionel Pourtau, un sociologue de terrain disparu trop tôt

Lire l’article original sur le site Liberation.fr

Disparition

Hommage à Lionel Pourtau, sociologue engagé de la teuf et des marges
Venu des classes populaires, partisan de l’union entre recherche et action, le spécialiste des free parties, de la socio-oncologie et des parcours des réfugiés en France, dont il était ardemment solidaire, est mort le 1er août, à l’âge de 51 ans.

Lionel Pourtau était sociologue, chercheur au département de recherche en éthique de l’université de Paris Sud. Il a travaillé plusieurs années à la Direction de la recherche clinique de l’institut de cancérologie Gustave-Roussy, puis au sein de l’association Habitat et Humanisme. Ses recherches visaient entre autres à élaborer une sociologie de l’adaptation. Mais avant tout, il était un homme qui cherchait à joindre la théorie et l’action.

Lionel est né en 1974 dans un milieu populaire à Albi, dans le Tarn, où rien ne le prédestinait à de longues études. Mère femme de ménage, père militaire absent, il découvre dès la fin du collège un livre de Pierre Bourdieu, les Héritiers, qui ne lui prédit, statistiquement, que peu de chances de faire des études universitaires. Boursier, intelligent, travailleur et hypermotivé, il est décidé à contredire la statistique. Il bûche, rattrape le bagage culturel qui lui fait défaut, et gravit tous les échelons : hypokhâgne à Janson-de-Sailly dans le XVIe arrondissement de Paris, DEA d’histoire contemporaine à la Sorbonne, DESS de Développement, coopération internationale et action humanitaire, DU de troisième cycle de criminologie, docteur en sociologie de l’université Paris-Descartes, avec les félicitations du jury.

Sa marque de fabrique

De fait, ayant rencontré le sociologue Michel Maffesoli pour une éventuelle entrée en master, il est à sa grande surprise poussé par ce dernier à s’engager à écrire une thèse sur un milieu qu’il fréquente, étudie et défend déjà, celui des « teufeurs » de la scène underground des free partys. Il déploie alors une méthode qui lui convient bien, et qui va devenir sa marque de fabrique. Cela consiste à embrasser l’étude scientifique in vivo de ces « tribus », nouveau milieu de la marge par excellence, et en même temps, d’en être l’interprète-médiateur pour le grand public, aux JT de TF1, à France Inter et RTL, ainsi qu’auprès des pouvoirs publics. Il va même devenir l’interlocuteur à la fois amusé, investi et régulier du ministre de l’intérieur d’alors, Nicolas Sarkozy, qui cherche à ce moment là à réguler ce phénomène de masse d’une partie de la jeunesse, mal compris ou stigmatisé.

En parallèle, il multiplie des séjours d’études sur des terrains variés, qu’il s’agisse de prévention des drogues (notamment dans le milieu des rave partys), mais aussi à Gaza et Hébron, à Jérusalem avec les Dominicains, dans la jungle de Calais. C’est après un Noël comme bénévole à Calais, justement, qu’il va s’engager sur un nouveau terrain d’étude, celui des réfugiés. Là aussi, il mélange étude de sociologie et action, créant notamment l’important pôle « réfugiés » au sein de l’association Habitat et Humanisme. De quoi l’amener à mettre à l’abri des SDF parisiens au début du Covid, des réfugiés yézidis en France, ou des Afghans exfiltrés de Kaboul.

Il aimait sillonner la France rurale pour convaincre maires, gendarmes ou évêques de petites villes d’accueillir des réfugiés dans leurs HLM, casernes ou couvents vides. Relancer les écoles, les commerces, la ville, devient son argument pour rassurer les hésitants et convaincre les récalcitrants. Et surtout, de trouver des lieux d’accueils et de repos aux familles afghanes ou aux femmes yézidies qui ont fui Daesh. Il savait faire et parler aux uns et aux autres. Il devient ainsi directeur général de l’association Habitat et Humanisme.

Pour les futurs malades

Il est un troisième domaine dans lequel Lionel s’était investi sans compter : la socio-oncologie ou sociologie du cancer. Le cancer – un sujet qui l’avait frappé directement, son épouse Helen ayant été tôt emportée par la maladie. « Les associations dans la lutte contre le cancer en France : partenaires ou contre-pouvoirs ? » ; « Génétique moléculaire et médecine personnalisée : problématique sociologique et questionnements éthiques » ; Prédire et prévenir le cancer (avec la Dr. Suzette Delaloge, ed. CNRS 2017) sont quelques-uns des titres parmi ses publications sur le sujet. Là aussi, il s’installe au cœur de la machine, à l’institut Gustave-Roussy, pour étudier la mécanique de la recherche, des soins, des soignants, des malades et de leurs accompagnants.

Après des années d’activités multiples et incessantes, il décide de prendre un temps dédié à l’écriture en s’installant dans les Pyrénées-Orientales. Il compte notamment se consacrer à une thèse en philosophie sur l’éthique de Kant. Hélas, début 2024, on lui diagnostique un cancer très avancé. En bon onco-sociologue, il se sait condamné. Mais il met un point d’honneur à « faire le job », participer à des chimiothérapies et des protocoles de recherche innovants. Si ce n’est pour lui (les statistiques sont très pessimistes), cela servira pour les générations futures de malades, qui pourront être traitées plus tôt, plus efficacement. Santé publique, toujours.

Dans le podcast Thunes d’Anna Borrel, portant sur le rapport intime à l’argent, il répond longuement et en toute honnêteté sur ces enjeux, les coûts de la maladie et « la fin du voyage ».

Il s’est éteint le 1er août 2025 à Perpignan, à l’âge de 51 ans.

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