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LE MONDE : Les campagnes de prévention contre les drogues mettent de côté la sensibilisation

https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/02/18/les-campagnes-de-prevention-contre-les-drogues-mettent-de-cote-la-sensibilisation_6552253_3224.html

Les campagnes de prévention contre les drogues mettent de côté la sensibilisation

Après le lancement d’une « campagne de culpabilisation » des consommateurs par le ministère de l’intérieur, les professionnels de santé s’inquiètent d’un message contre-productif pour les usagers et de l’absence de politique sanitaire.

Par Mattea Battaglia et Camille Stromboni

Où en est l’action sanitaire en matière de drogues ? La question résonne parmi les acteurs de terrain – addictologues, travailleurs sociaux, médecins, associations… – alors que le gouvernement a durci le ton en lançant, le 6 février, une « campagne de culpabilisation » en direction des consommateurs. Exit l’information, la sensibilisation, la prévention : la désignation des consommateurs de drogue comme responsables des violences des narcotrafics, intégrés dans cette « chaîne meurtrière », est assumée comme seul message par le ministère de l’intérieur, sans qu’aucun autre discours émerge du côté du ministère de la santé.

Cette question de l’absence d’action sanitaire a aussi été soulevée dans le rapport sur la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants rendu public, lundi 17 février, par les députés Antoine Léaument (La France insoumise, Essonne) et Ludovic Mendes (Renaissance, Moselle), qui plaident pour aborder ces enjeux sous un prisme autre que celui de la répression.
A Beauvau, le glissement sémantique semble pourtant consommé. « Chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue que vous achetez », entend-on dans le clip d’une trentaine de secondes, dévoilé devant la presse par Bruno Retailleau, qui a ainsi revendiqué une « rupture ». Même si le sillon a été creusé sous les précédents gouvernements par d’anciens ministres, comme Eric Dupont-Moretti à la justice, condamnant le « pétard du samedi [qui]a le goût du sang séché sur le trottoir » ou Gérald Darmanin à l’intérieur, faisant des consommateurs les « premiers responsables » des règlements de comptes.

« Pas efficace auprès des premiers concernés »

Sur le terrain, l’accueil est pour le moins réservé. « Communiquer ainsi, c’est méconnaître la consommation de drogue et ses raisons, soutient Catherine Delorme, présidente de la Fédération Addiction. On consomme pour des raisons très différentes, pour certaines personnes c’est dans un contexte festif, vécu comme ponctuel, voire récréatif, quand pour d’autres l’usage se veut autothérapeutique, pour apaiser certains troubles… Une bonne campagne de prévention, qui peut avoir un écho auprès de tous, devrait d’abord informer sur les enjeux de santé, poursuit-elle, permettre d’identifier les ressources pour modifier son comportement, et surtout ne pas isoler et stigmatiser une personne – ou une catégorie de personnes – dans sa consommation. »

Une analyse partagée par l’addictologue Jean-Pierre Couteron : « Les discours moralisateurs ne font pas changer les comportements, estime ce psychologue clinicien. En désignant un “méchant absolu”, le consommateur, les autorités parlent peut-être à l’opinion publique, à tous ceux qui s’inquiètent, légitimement, des violences du narcotrafic, aux “riverains”… Mais ça ne peut pas être efficace auprès des premiers concernés. »

Lui, comme d’autres experts, écarte les comparaisons, entendues, avec les campagnes-chocs de prévention routière. « Ce type de message peut avoir un effet positif quand il vise un comportement sur lequel la personne a le contrôle, relève-t-il.Et puis en matière de sécurité routière, on n’interdit pas de conduire, on laisse une alternative qui est de limiter la vitesse. C’est une différence essentielle », fait-il encore valoir. M. Couteron cite aussi l’exemple de campagnes autour de la consommation d’alcool, montrant les dégâts après plusieurs verres, qui peuvent avoir de l’écho auprès de consommateurs occasionnels – « pour qui consommer, ou pas, relève encore du libre arbitre. Mais pas pour des personnes qui sont “vraiment addicts” ».

La professeure Florence Vorspan, psychiatre et addictologue, fait aussi un distinguo : « Sur le principe, ce type de message peut toucher certains usagers, avant qu’ils ne soient dépendants, estime-t-elle. Mais une fois que la dépendance est installée, de même que les très gros fumeurs préfèrent se priver de nourriture plutôt que de tabac, les cocaïnomanes chercheront leur dose, quels que soient les barrières et les interdits qu’on leur oppose, sauf s’ils entrent dans des soins spécialisés. »

Absence de message sur le cannabis

S’il n’existe pas d’étude d’ampleur permettant d’évaluer précisément l’impact des campagnes de prévention sur la consommation des drogues, les acteurs de terrain citent souvent, en guise d’exemple, le discours porté au début des années 2000, aux antipodes du ton actuel, notamment dans une campagne nationale intitulée « Savoir plus, risquer moins ». Un slogan porté à l’époque par Nicole Maestracci, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, ancêtre de l’actuelle Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives.
Aujourd’hui encore, il est inscrit dans la Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 que les discours en direction des jeunes publics, notamment, doivent être « clairs sur les risques liés aux consommations de substances psychoactives, sans dramatisation ou stigmatisation ».

« Avez-vous en mémoire une seule grande campagne, ces dernières années, portant sur les nouvelles drogues de synthèse, les psychostimulants, la cocaïne ? », interpelle Amine Benyamina, chef de service psychiatrie-addictologie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), qui s’inquiète également de l’absence de message porté sur le cannabis, pourtant la drogue illicite la plus consommée. Selon les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives publiés mi-janvier, le cannabis concerne 900 000 usagers quotidiens et 5 millions d’usagers dans l’année, des chiffres stables. La consommation de cocaïne, elle, progresse fortement, avec 1,1 million de personnes disant en avoir fait usage au moins une fois dans les douze derniers mois en 2023, soit deux fois plus que l’année précédente.

« Aujourd’hui, il n’y a pas de politique sanitaire menée en matière de drogue, reprend Amine Benyamina. Mais la drogue n’est pas seulement une question de sécurité, c’est aussi un sujet de société et de santé. » Une référence à ces deux « volets » de l’action publique en matière de stupéfiants, l’un répressif, l’autre sanitaire, entre lesquels l’action politique n’a cessé d’osciller, au fil des décennies, pour privilégier désormais, très clairement, le premier. Pour preuve, le silence actuel des autorités sanitaires sur le sujet : au ministère de la santé comme chez Santé publique France, l’agence pourtant chargée de l’élaboration des messages de prévention, personne, à ce stade, ne s’exprime sur la campagne en cours.

Mattea Battaglia et Camille Stromboni

Voir en ligne : L’article sur le site Le Monde.fr

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