Face aux ravages du trafic de drogue, Bruno Retailleau annonce un nouvel arsenal législatif. Avec quelle possible efficacité ? C’est la question que pose Patrick Cohen ce matin.
Plus d’info et pour réécouter cet édito politique : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique/l-edito-politique-du-lundi-04-novembre-2024-5741619
Face aux ravages du trafic de drogue, Bruno Retailleau annonce un nouvel arsenal législatif.
Pour durcir encore la réponse sécuritaire. Discours souvent entendu d’une guerre sans merci contre les trafics et les narcotrafiquants.
Mais ce qui est stupéfiant dans cette politique anti-stupéfiant (pardon), c’est qu’aucun ministre de l’intérieur, jamais, ne s’interroge sur les échecs de ses prédécesseurs. Chacun espère que la volonté, les moyens, la fermeté, les coups de menton… lui permettront de faire mieux. Jusqu’à ce que le suivant constate que la situation est pire, les trafics toujours plus florissants et plus violents.
Or, le constat d’échec tient en deux phrases : malgré plus de 50 ans de prohibition et de chasse aux trafiquants, nous sommes devenus les champions d’Europe de la consommation de cannabis. 5 millions d’usagers annuels, 1 million de fumeurs quotidiens, avec des mineurs deux fois plus atteints que la moyenne européenne.
Échec sécuritaire, échec judiciaire, échec de santé publique.
La France devrait-elle réfléchir à la légalisation du cannabis ?
Déjà fait, les réflexions ont eu lieu. Mai 2021, après un an et demi de travail, plus de 200 auditions et une consultation citoyenne de 250 000 personnes, les députés de la mission d’information sur le cannabis concluent à la nécessité d’une légalisation encadrée et régulée.
Janvier 2023, le Conseil économique social et environnemental aboutit au même constat et aux mêmes conclusions : la prohibition nourrit les trafics et la criminalité. Les policiers, épuisés, découragés par une guerre sans fin, ont le sentiment de vider la mer avec une cuiller. Le budget alloué aux forces de l’ordre pour la lutte anti-drogue, qui a doublé en 10 ans, pour dépasser le milliard d’euros, serait mieux utilisé à des politiques de prévention.
Idée radicalement contre-intuitive : c’est en la légalisant que les jeunes seraient mieux protégés de la drogue
Trop contre-intuitive peut-être ? Oui, sûrement pour les ministres de l’Intérieur, dont la première hantise est de se faire traiter de laxiste. Le prédécesseur de Bruno Retailleau, Gérald Darmanin évoquait la légalisation comme une « lâcheté intellectuelle ». Il citait aussi ce slogan vieux de presque 40 ans, inventé par le photographe et réalisateur Jean-Marie Périer pour une série de spots télévisés : « La drogue, c’est de la merde ». Alors, disait Darmanin, on ne va pas légaliser cette merde.
Que peut-on lui répondre ? Que le cannabis est, chez l’adulte, moins dangereux que l’alcool et le tabac. C’est un fait médical. Il est moins mortel et rend moins dépendant. Ce qui n’est pas vrai chez les adolescents, c’est là qu’il y a péril. D’où l’idée que l’État prenne le contrôle de la vente de cannabis, plutôt que de la laisser aux dealers.
Des exemples étrangers
Le temps me manque pour évoquer les exemples étrangers, Canada, Allemagne, pas tous probants, pas tous transposables. Personne ne prétend à un effet magique sur la consommation, la criminalité, la violence. Mais en France ce débat est toujours refermé avant d’avoir été mené.
Une citation pour finir… Une devise Shadok, signée Jacques Rouxel, qui convient parfaitement aux politiques anti-drogue. « Il vaut mieux pomper d’arrache-pied même s’il ne se passe rien, que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ».
Voir en ligne : L’Edito Politique de Patrick Cohen sur France Inter