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Pour venir à bout de la spirale de violence où nous sommes enfermés

Par Sameer Ithier

Médiateur social dans les quartiers nord de la cité phocéenne depuis plusieurs années, je constate avec amertume et colère la manière dont nos responsables ont choisi de réagir à la mort d’un adolescent et aux balles qu’on a logées dans le corps d’un enfant.

Faut-il que nos élus soient aveugles ! Faut-il qu’ils aient dévoyé la politique au point de ne pas voir, de refuser de comprendre, et de jouer leurs populistes partitions sur le dos d’une jeunesse et d’un avenir que nous partageons tous ! Et faut-il que nous soyons, nous leurs administrés, naïfs au point de croire sincères leurs déterminations et leurs chagrins ?

Car la gravité de la situation que nous connaissons ici à Marseille, et que le reste du pays connaît sous d’autres formes, mérite que l’on s’y penche avec honnêteté et que nos plus grands esprits fassent preuve de lucidité. Au lendemain du drame, les autorités ont décidé de nous envoyer un renfort de 350 CRS, et il ne fut bientôt plus question que de savoir si ce chiffre allait suffire. La clé de l’énigme fut forgée sans délai : il fallait que l’Etat réaffirme sa présence et sa force, et que la police fasse enfin ce grand ménage que tant d’ignorances et de démagogies appelaient de leurs voeux depuis si longtemps. Or il se trouve que nous savons tous, que l’on se l’avoue ou qu’on se le cache, que cette débauche de répression médiatisée n’est pas la solution. Non que la police n’ait pas son rôle à jouer bien sûr, non que la répression soit inutile, là n’est pas le fond de la question. Personne ne peut nier les vertus de la sanction quand elle est réfléchie. Mais ce qui se passe aujourd’hui n’a rien à voir avec les saines obligations régaliennes incombant depuis toujours aux autorités civiles.

En effet, la mise en scène médiatique est là pour prouver que la démarche est ridicule. Que ce que cherchent nos responsables politiques, ce n’est pas la paix civile et encore moins le bien-être des habitants des quartiers sensibles. L’objectif patent de la démarche médiatico-policière n’est autre que l’utilisation des tensions urbaines à des fins politico-marketing. Alors le spectacle commence et continue, et l’on nous montre ces gardiens de la paix si fiers d’avoir trouvé une kalachnikov dans le coffre d’une Porsche Cayenne rutilante.

Ils ont le sens du symbole. Ces images hurlent au téléspectateur que la violence et la délinquance qui font aujourd’hui couler le sang dans nos rues n’ont rien à voir avec la misère. Non, puisque l’arme était cachée dans une voiture dont aucun travailleur honnête n’oserait même se payer le luxe de rêver. Et la magie de l’audiovisuelle opère et nous fait oublier, comme à des enfants devant le lapin sorti du chapeau vide, que les armes à feu sont indénombrables dans la ville. Que la violence d’ailleurs, celle qui nous stupéfie chaque semaine au rayon faits divers, que cette violence ne se désarme pas. Parce qu’elle est un fait social en expansion et que les sources auxquelles elle s’abreuve ne sauraient être taries ou seulement découvertes par des hommes et des femmes dont la seule préoccupation porte les noms d’audimat et d’intention-de-vote.

C’est donc en toute humilité que je souhaite ici apporter mon témoignage et mon analyse. En faisant taire la colère et l’amertume du mieux que je le peux. Pour venir à bout de la spirale de violence où nous sommes enfermés, je ne vois que deux axes de travail :

Le premier porte sur la légalisation et l’encadrement citoyen du cannabis et de la marijuana. On ne le répètera jamais assez, la consommation de ces stupéfiants concerne à l’heure actuelle l’ensemble de notre corps social. On peut fumer trop ou avec modération, on peut fumer seul ou en groupe, on peut se détruire ou se détendre avec le THC, mais tous ces comportements et ces usages ne diffèrent en réalité qu’assez peu de ce que l’on connaît avec l’alcool. La France fume donc à grande échelle, ni plus ni moins qu’elle ne boit. Il y a comme de l’inconscience à poursuivre la stigmatisation de cette drogue et de son commerce alors même qu’on s’enorgueillit de la diversité de nos alcools. On divise ce faisant la population de manière parfaitement artificielle et inconséquente, et l’on ne règle rien. D’autant que le trafic de cannabis est le principal agent de développement de la petite délinquance. La porte d’entrée dorée pour tous ceux que l’argent facile appâte et séquestre ensuite dans sa logique. La légalisation est le seul moyen sûr de désintégrer tous les réseaux de France et de Navarre. On n’échappera pas à cette solution inéluctable, dont le rythme et les modalités restent bien entendu à définir ensemble. Se voiler la face plus longtemps en la matière relève de l’absurde volonté qu’a parfois le cancéreux de ne pas se soigner par crainte des épreuves impliquées par la thérapie. Nous avons laissé se développer une situation de prohibition sans issue, extrêmement proche de celle qu’ont connu les Etats-Unis dans les années 1920. Avec son cortège funèbre d’Al Capone et de syndicats du crime en tous genres. La France fume et fumera encore longtemps, et si l’arabophobie ambiante ne nous empêche pas trop d’y réfléchir, il faudra bien que nous prenions ce taureau-ci par les cornes un jour ou l’autre.

Le second axe de travail est celui de la prévention. Ce mot devenu presque tabou de nos jours tant il sent la faiblesse et l’échec d’une France qui ne veut plus comprendre mais seulement cogner. Là aussi, nous ne ferons pas l’économie de l’effort et de la réflexion. D’un travail dont les fruits ne sauraient se satisfaire du temps d’un quinquennat pour arriver à maturité. Il va nous falloir planter des médiateurs et des animateurs, des éducateurs et des profs sur tout le territoire. Pour une moisson qui viendra dans dix ans, dans vingt ans, mais qui viendra. Parce que ces jeunes que nous ne supportons plus ne sont autres que les nôtres, nos enfants, notre avenir. Et si l’on veut qu’ils arrêtent de vendre et de voler, de détruire et de se détruire, il est indispensable de les considérer. De dépasser la logique du conflit et de la guerre civile pour réintégrer cette jeunesse dans le giron de notre solidarité nationale. De lui parler, de l’éduquer, de lui rendre la certitude que l’étude et le travail ont un sens et que le respect et la droiture ne sont pas des mots creux.

Si les hommes et les femmes qui nous dirigent veulent sincèrement "mettre le paquet" dans les domaines de la sécurité, qu’ils le mettent. Mais au bon endroit.

Sameer Ithier, médiateur social dans les quartiers nord de Marseille

LEMONDE.FR | 08.12.10 | 09h56 * Mis à jour le 08.12.10 | 10h32

COMMENTAIRES :

© Le Monde.fr |
* O. da Tresoldi
* 10h21
* zac’tement, m’sieur ! le mouvement des 39 contre la nuit sécuritaire et l’appel des appels regroupent et organisent réflexion, témoignages, mobilisation et ainsi de suite pour nous sortir de cette ornière. En être pour ne pas rester impuissant devant cette nouvelle barbarie, que les acteurs de la réalité sociale retrouvent les bons leviers en 2012. L’avenir se construit maintenant
* Répondre
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* Raphaël C.
* 08/12/10 - 13h37
* Merci pour vos propos responsables,lucides& salutaires.Les démagogues accros à la prohibition et à la surenchère répressive discréditent la parole et l’action politiques par leurs gesticulations pitoyables et leurs stratégies contreproductives.Ces pompiers pyromanes déplorent une violence qui est pourtant directement générée par la loi qu’ils soutiennent obstinément ! Assez d’hypocrisie.

Voir en ligne : Le site LeMonde.fr

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