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Bernard Rappaz rentre à la maison

Le Matin ouvre le débat : fallait-il laisser Bernard Rappaz en prison ?

Après 110 jours, le chanvrier valaisan Bernard Rappaz cesse sa grève de la faim. En échange, il purgera une partie de sa peine chez lui. Ses proches jubilent

Par Muriel Jarp - le 21 juillet 2010, 21h14
Le Matin

Un « soulagement » pour les proches de Bernard Rappaz. Tant son ami Boris Ryser que son ex-compagne, sa fille ou son avocat ne cachent pas leur joie. « Je suis très émue, vraiment, répond Maggie Loretan, la mère de leur enfant de 12 ans. Vous ne savez pas ce que j’ai vécu ces derniers jours. » Sa voix tremble un peu lorsqu’elle raconte qu’elle vient d’annoncer la nouvelle à sa fille : « Lorsque j’ai appris la nouvelle par les médias, elle était sortie promener les chiens. A son retour, on est tombées dans les bras l’une de l’autre. On a pleuré un petit moment », dit-elle d’une voix presque inaudible.

Une tension intense, qui peut enfin voir une trêve. Bernard Rappaz a accepté mardi la proposition de la conseillère d’Etat valaisanne en charge de la Justice, Esther Waeber-Kalbermatten. En échange de pouvoir temporairement purger sa peine à domicile, il cesse sa grève de la faim.

Une victoire pour son camp ? « En tout cas, une joie, celle d’être allégé du souci de sa mort qui obsède ses proches depuis un mois et demi. Mais on n’a pas encore ouvert le champagne ! » répond Boris Ryser, de la ferme de Bernard Rappaz, en Valais.

« Et le combat continue », poursuit-il. Car il ne s’agit pas exactement d’un revirement de la conseillère d’Etat. Elle s’est plutôt retrouvée prise en étau entre la détermination sans faille du chanvrier, en grève de la faim depuis 110 jours, et une ordonnance du Tribunal fédéral. Cette haute instance judiciaire a décrété jeudi passé que la conseillère d’Etat devait faire tout son possible pour que Bernard Rappaz reste en vie le temps qu’ils statuent sur son recours - qui demande une suspension de peine - et rendent leur décision le 26 août. Un ordre, donc. Etabli en ces termes : « La cheffe du Département de la sécurité, des affaires sociales et de l’intégration du canton du Valais continuera de prendre, durant la litispendance, toutes les mesures conformes à la Constitution qui seront nécessaires à la sauvegarde de la vie et de l’intégrité corporelle du recourant ; elle reste compétente pour prendre toute nouvelle décision qu’elle estimera justifiée. »

Casse-tête pour la ministre

Entre jeudi et mardi, Esther Waeber-Kalbermatten a donc vécu des journées pour le moins intenses avec son équipe de juristes afin de trouver une solution à ce casse-tête. Avec comme principal souci la crainte d’une crise cardiaque, ou d’un coma. « J’ai demandé à l’Hôpital de l’Ile de transférer M. Rappaz aux soins intensifs le jour même. Et, le lendemain soir, j’ai décidé de demander aux médecins de commencer à l’alimenter de force », nous explique-t-elle. Or, lundi, l’Hôpital de l’Ile répond qu’ils ne pratiqueront pas d’alimentation forcée, contre leur éthique. Sans possibilité d’avoir des nouvelles de son état de santé, secret professionnel oblige, la situation devient critique : « Lundi après-midi, je me suis retrouvée dans cette situation. Que devais-je faire ? C’était la seule solution. » A savoir, proposer - via son avocat - au chanvrier d’arrêter lui-même sa grève de la faim en échange de l’exécution de sa peine à domicile dès que les médecins de l’Hôpital de l’Ile jugeront son état suffisamment stable pour qu’il sorte. « Lorsque je lui ai proposé cela mardi, il a longuement réfléchi, puis a accepté », explique Aba Neeman, qui s’avoue « très content » de cette « issue temporaire » : « Ce n’est pas simple comme mandat, soupire l’avocat. Je ne veux absolument pas qu’il arrive quoi que ce soit à Bernard Rappaz, ça fait longtemps que j’essaie de le convaincre d’arrêter. Alors là, j’y ai vu enfin une opportunité. »

Les conditions de détention à domicile jusqu’au 26 août seront similaires à celles de la prison, à savoir surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, promenade d’une heure par jour, 90 minutes de visites hebdomadaires de ses proches.

« A suivre »

Un sursis pour le moins bienvenu. Ses amis attendent anxieusement la décision du TF le 26 août. Et la demande de grâce qui sera votée en novembre par le Grand Conseil valaisan. « Affaire à suivre », conclut sobrement son ancienne compagne, consciente que rien n’est encore gagné pour Bernard Rappaz. Mais « si contente qu’on lui ait sauvé la vie ».

Interview de Esther Waeber-Kalbermatten, ministre de la Justice valaisanne : « Il ne s’agit pas de gagner ou de perdre »

M. Rappaz a accepté d’interrompre sa grève de la faim, un soulagement pour vous ?

Oui, je pense. Personne ne veut qu’il meure. C’est très dur d’avoir face à soi une personne qui décède d’une grève de la faim. Je souhaiterais d’ailleurs que la Conférence des directeurs et directrices des départements cantonaux de justice et police se penche sur cette question pour l’avenir.

A-t-il gagné son bras de fer avec vous ?

Je dois reconnaître qu’il est très déterminé. Mais il ne s’agit pas de gagner ou de perdre. S’il en venait à mourir, nous aurions aussi perdu.


Ne craignez-vous pas que la droite vous accuse de retourner votre veste ?

Depuis le début de l’affaire, j’ai eu plusieurs importantes décisions à prendre, à chaque fois en analysant la situation le mieux possible. Aujourd’hui, le Tribunal fédéral m’ordonne de le maintenir en vie et de préserver son intégrité physique. Je dois m’y conformer. Et il ne s’agit pas d’une interruption de peine. Cet arrêt à domicile reste une peine très dure, avec des conditions strictes.


Y a-t-il eu un malentendu avec les médecins de Berne ?

L’Hôpital de l’Ile m’a répondu lundi qu’ils n’alimentent pas leurs patients de force, cela en adéquation avec l’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales. Ce n’est pas nouveau. La différence entre les hôpitaux genevois et bernois est que chez les seconds, si le patient tombe dans le coma, ils prennent des mesures d’urgence. Or là, je ne peux pas le laisser partir dans le coma puisque le TF demande expressément que son intégrité corporelle soit préservée.

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L’ÉDITORIAL

Rappaz : la fin ?

Bernard Rappaz a donc gagné : dans quelques jours, le prisonnier retrouvera ses pénates, à Saxon, en Valais. Dans un lieu que les autorités valaisannes appellent pudiquement des « arrêts domiciliaires provisoires ». En clair, chez lui et plus en prison.

En refusant, il y a peu, de lui accorder une suspension de peine, Mme Esther Waeber-Kalbermatten faisait preuve de courage : elle disait non au chantage insupportable d’un condamné qui osait mettre sa vie dans la balance en confisquant nos institutions démocratiques - et en particulier la justice. Un geste politiquement fort, légitime, et digne de sa charge.

Aujourd’hui, le sentiment est plus mélangé : en disant non à Rappaz, la conseillère d’Etat n’espérait-elle pas surtout que les médecins, n’écoutant que leur serment, sauvent le prisonnier et l’alimentent ? Bien sûr : une manière d’éviter le martyre pour le chanvrier et de garder une posture politiquement intacte pour la socialiste. Mais les médecins bernois ne l’ont pas entendu de cette oreille : un prisonnier qui veut mourir en a le droit. Retour à la case départ pour Esther Waeber-Kalbermatten.

C’était compter sans le Tribunal fédéral. A lire le communiqué, la conseillère d’Etat n’a fait qu’exécuter un ordre venu d’en haut en rapatriant le chanvrier en Valais : il faut préserver la vie du prisonnier jusqu’au verdict du tribunal, le 26 août prochain.

Combien de temps la conseillère d’Etat pourra-t-elle repousser l’inéluctable ? Ce jour-là, en choisissant le droit à la vie, ou l’inverse, elle jouera vraiment son avenir politique. A moins qu’une fois encore, le Tribunal fédéral ne lui vienne en aide.

Blaise Willa, Rédacteur en chef adjoint

Voir en ligne : Le Matin

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