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Sarkozy, un président au-dessus des lois ?

Un livre à lire immédiatement

"Le Justicier, enquête sur un président au-dessus des lois"

par Dorothée Moisan, journaliste

1/ entretien audio de 7 mn (France Culture, 14 janvier 11)

« Dorothée Moisan révèle comment Nicolas Sarkozy s’y est pris pour contrôler la machine judiciaire et le traitement des affaires. Dès son passage à l’intérieur, il a placé aux postes-clés ses hommes, la plupart issus de la droite dure. De l’armée des victimes, il a fait, au gré des faits divers, son fonds de commerce électoral. Tolérance zéro, mais pour qui ? »

2/ Sarkozy et les juges, par Franck Johannès (Le Monde, 2 février 11)

« C’est un livre modeste et important, un livre que tous les honnêtes citoyens devraient éplucher […] Dorothée Moisan, journaliste à l’AFP, y explore minutieusement la relation ambiguë, suspicieuse et conflictuelle que le président de la République entretient avec la justice. La charge est d’autant plus sévère que l’enquête est posée, aisée à lire, et s’appuie sur des éléments incontestables. »

3/ Sarkozy et la justice : petites phrases et grosses pressions, par Augustin Scalbert (avec des extraits) (Rue 89, 6 janvier 11)

Rue89 a choisi de publier des extraits intéressants en ce qu’ils mêlent plusieurs facettes des relations de Nicolas Sarkozy avec la justice :Françafrique [13], justice des copains, soupçons de financement politique pour son camp, et relations avec les milieux d’affaires.

Et un entretien vidéo (France Info) là : http://www.dailymotion.com/video/xgjc53_dorothee-moisan-journaliste-auteur-du-livre-le-justicier_news

Dorothée Moisan, journaliste, publie
"Le Justicier, enquête sur un président au-dessus des lois"

14.01.2011 - 07:17

Jamais président français n’a entretenu rapport si ambigu avec la justice. Nicolas Sarkozy tient ferme les rênes de l’institution judiciaire afin de servir ses intérêts tant politiques que privés. Mieux vaut donc être son ami ou son allié, ainsi que peuvent s’en féliciter les Tapie, Clavier, Bettencourt ou autres bénéficiaires de la Françafrique. Faisant fi de la tradition républicaine, il est d’ailleurs le premier chef de l’Etat à poursuivre ses adversaires au pénal alors que sa fonction le rend lui, inattaquable.

Dorothée Moisan révèle comment Nicolas Sarkozy s’y est pris pour contrôler la machine judiciaire et le traitement des affaires. Dès son passage à l’intérieur, il a placé aux postes-clés ses hommes, la plupart issus de la droite dure. De l’armée des victimes, il a fait, au gré des faits divers, son fonds de commerce électoral. Tolérance zéro, mais pour qui ?

Entretien audio (7 minutes) : http://www.franceculture.com/player?p=ecoute-3681421#reecoute-3681421

Document(s) : Le justicier : enquête sur un Président au-dessus des lois Dorothée Moisan Ed. du Moment, Paris, 2011

Source TERRA : http://www.franceculture.com/emission-en-toute-franchise-dorothee-moisan-journaliste-publie-le-justicier-enquete-sur-un-president
Sarkozy et les juges

Par Franck Johannès

Mis à jour le 05.02.11 | 14h56

C’est un livre modeste et important, un livre que tous les honnêtes citoyens devraient éplucher, d’autant qu’il éclaire singulièrement le nouvel affrontement entre Nicolas Sarkozy et les juges à propos de l’affaire Laëtitia.

Dorothée Moisan, journaliste à l’AFP, y explore minutieusement la relation ambiguë, suspicieuse et conflictuelle que le président de la République entretient avec la justice. La charge est d’autant plus sévère que l’enquête est posée, aisée à lire, et s’appuie sur des éléments incontestables.

Nicolas Sarkozy, dès qu’il met les pieds place Beauvau en 2002, prend en charge les affaires judiciaires et empile les lois sécuritaires - Dominique Perben, le ministre de la justice, reconnaît lui-même qu’"on avait l’impression qu’il était aussi garde des sceaux".

Le chef de l’Etat n’a que du mépris pour les magistrats, ces gens qui "se ressemblent, alignés comme des petits pois, même couleur, même gabarit, même absence de saveur", comme il l’a avoué sans fard chez Michel Drucker. "A ses yeux, le magistrat n’est qu’une perte de temps entre le policier interpellateur et le gardien de prison", note la journaliste. Les juges se doivent d’avoir l’échine souple, et sont d’abord là pour servir le prince.

Nicolas Sarkozy a ainsi de longue date mis en place ses réseaux, y compris dans la magistrature. Les "hommes du président" sont placés aux postes-clés. Yves Bot, qu’il tutoie, est nommé procureur à Paris (et surnommé "Pol Bot"). Il divise par quatre les enquêtes confiées aux juges d’instruction, qui sont, eux, statutairement indépendants. Son ancienne chargée de presse, après être passée au cabinet Fillon, est aujourd’hui directrice des affaires criminelles et des grâces, poste stratégique par excellence à la chancellerie.

Nicolas Sarkozy s’est encore pris d’affection pour l’ombrageux Philippe Courroye, nommé, contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature, procureur à Nanterre, dans le département du président, et qui reste toujours soupçonné de devancer les souhaits du pouvoir. Mais l’homme-clé reste Patrick Ouart, conseiller de l’ombre à l’Elysée, qui pantoufle depuis 2009 chez LVMH, et dont le rôle a été crûment mis en lumière dans l’affaire Bettencourt.

Le chef de l’Etat, soucieux de doubler l’extrême droite avant la présidentielle, multiplie les démarches auprès des victimes, tonne contre "les prédateurs" sexuels et va jusqu’à imposer une "rétention de sûreté" pour les criminels qui ont purgé leur peine, directement inspirée d’une loi nazie. S’il mise sur une lourde répression de la petite délinquance, il fait preuve d’une grande indulgence pour les délits financiers. "La pénalisation à outrance du droit des affaires est une grave erreur", a indiqué sans gêne le président, lui qui invitait la crème du CAC 40 au Fouquet’s le soir de son élection.

Le chef de l’Etat ne manque pas non plus de se servir de la justice pour aider les amis, qu’il s’agisse de Christian Clavier, dont la villa corse a été envahie, Bernard Tapie et ses soucis financiers avec Adidas ou Jean-Charles Marchiani, qui a bénéficié d’une des rares grâces présidentielles. Inattaquable pénalement, le président saisit régulièrement les tribunaux : il l’a fait sept fois, dont quatre au pénal, un record sous la Ve République. Reste à savoir comment il se dépêtrera des deux dossiers les plus inquiétants pour l’Elysée, les affaires Bettencourt et Karachi.

Un jour, peut-être, un petit-fils du président lui demandera avec effarement : "Dis, grand-père, c’est vrai ce qu’il y a dans ce livre ?" Oui, c’est vrai.


Le Justicier - Dorothée Moisan - Editions du moment, 284 p., 19,95 €

Source TERRA : http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/02/05/sarkozy-et-les-juges_1475583_3260.html

Sarkozy et la justice : petites phrases et grosses pressions
By Augustin Scalbert

Created 01/06/2011 - 12:08

Rue89 publie des extraits du « Justicier », première enquête à montrer comment le Président contrôle ou contourne les juges.

Description:Au début des années 80, Nicolas Sarkozy défendait des trafiquants, des voleurs à la tire et « avait plaisir à le faire », selon son avocat et « ami de trente ans », Me Thierry Herzog [1]. Au prétoire, le jeune avocat ferraillait ferme pour qu’ils obtiennent du sursis.

Sarkozy est ensuite devenu un étrange hybride avocat-politicien-procureur, comme le montre l’excellent « Le Justicier, enquête sur un Président au-dessus des lois » de Dorothée Moisan, qui sort ce jeudi aux éditions du Moment et dont Rue89 publie des extraits.

Au service de ses amis, de ses soutiens politiques ou financiers, de ses visées politiques, et de son électorat.

Au détriment de ses ennemis. Tout en étant aujourd’hui, cas unique en Europe, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire et nanti d’une immunité très protectrice. Inattaquable, ce qui ne l’empêche pas d’attaquer (sept procédures depuis son élection).

Journaliste, Dorothée Moisan suit les affaires du Palais de justice de Paris pour l’AFP. Elle a enquêté sur tous les liens de l’actuel président de la République avec le troisième pouvoir. En remontant à l’origine, sa mère, « Dadu », qui plaidait naguère dans un scandale politico-immobilier des Hauts-de-Seine (l’affaire Villarceaux [2]).
« Allô, maman, je suis avocat, comme toi »

Sorti de Sciences-Po sans en décrocher le diplôme [3], son fils lui annonce sa nouvelle orientation de but en blanc, en 1981 :

« Allô, maman, tiens-toi bien, je suis avocat, comme toi. »

La suite est riche et variée, d’affaires futiles ou choquantes (la villa corse de l’ami Christian Clavier [4], le « off » Sarkozy/France 3/Rue89 [5], « la » rumeur [6], le scooter de Jean Sarkozy) en scandales plus obscurs et gênants (Clearstream
[7], Karachi [8], Bettencourt [9], l’arbitrage Tapie-Etat pour le Crédit Lyonnais [10], l’Angolagate [11], l’accord Chirac-Delanoë sur les emplois fictifs, le fief des Hauts-de-Seine…).

Côté politique, tout y passe : le passage de Rachida Dati place Vendôme, la récidive, les 35 lois depuis 2002 sur la sécurité et l’immigration, la volonté présidentielle de supprimer le juge d’instruction… Et l’« indulgence coupable » de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de la délinquance en col blanc.

Dans son livre « Libre », le Président a en effet écrit ces lignes :

« Ne serait-il pas plus juste de réserver la prison à la seule punition des crimes et délits ayant porté atteinte à l’intégrité physique de la victime ? »

Ce demi blanc-seing aux grands escrocs, Sarkozy a voulu le délivrer en dépénalisant le droit des affaires. Après la crise de 2008, il a jugé plus prudent d’attendre.
La suppression en trompe-l’œil de la double peine

D’une plume alerte, sans s’appesantir, Dorothée Moisan raconte comment Nicolas Sarkozy a fait du ministère de l’Intérieur son laboratoire de politique judiciaire.

Il tente, en vain, de court-circuiter deux gardes des Sceaux successifs (Dominique Perben et Pascal Clément) pour imposer ses peines planchers. Qu’il fait finalement voter une fois à l’Elysée, dès août 2007.

Il a plus de succès en 2003 avec l’abolition de la double peine, qui voulait qu’un étranger condamné en France soit expulsé du pays à sa sortie de prison.

Noble mesure dont Nicolas Sarkozy se vante toujours, mais surtout belle enflure médiatique que cette abolition : la voix des associations, qui réclament en 2006 « une véritable suppression de la double peine », ne porte pas. Elles dénoncent le calvaire administratif imposé à qui veut éviter la double peine. Laquelle, du coup, reste effective dans de nombreux cas.
Défendre les victimes et légiférer dans l’émotion

Ces lois en rafale, le futur Président les obtient depuis la place Beauvau en usant d’un des ingrédients majeurs de son succès politique : les faits divers. Sa recette est la suivante :

« Primo, se poser en défenseur des victimes. Secundo, rudoyer les juges, trop laxistes. Tertio, profiter de l’émotion pour légiférer dans l’urgence. L’affaire Crémel [12] est à ce titre emblématique. »

Prétextant notamment que le veuf de Nelly Crémel (une joggeuse assassinée en 2005 en Seine-et-Marne par le récidiviste Patrick Gateau et un complice) lui a demandé « comment l’Etat peut-il relâcher un monstre ? », Nicolas Sarkozy défend la victime, tape sur le juge d’application des peines (JAP) qui a libéré le meurtrier après son premier crime, et obtient une loi contre la récidive.

Mais il y a deux problèmes. D’abord, l’avocate de la famille Crémel assure à Dorothée Moisan qu’elle n’a « jamais entendu M. Crémel tenir les propos que lui prête Nicolas Sarkozy ». La famille a très peu goûté cette récupération politique.

Ensuite, les organisations professionnelles de magistrats sont outrées par les propos du ministre. Lequel met une telle pression médiatique que le président du Conseil supérieur de la magistrature (et de la République) à l’époque, Jacques Chirac, lâche le corps judiciaire et tranche en faveur de Sarkozy. En rappelant du bout des lèvres le principe de la séparation des pouvoirs.
« Il faut faire payer le juge »

Les propos du JAP cloué au pilori par le ministre, concédés seulement quatre ans plus tard sur France 2, pourraient résumer à eux seuls le peu de cas que l’ex-avocat Nicolas Sarkozy fait des textes de loi de son pays.

Le juge Alain Hahn :

« J’ai une phrase qui revient dans ma tête : “Il faut faire payer le juge.” Mais quel juge ? Quel juge ? [La loi impose que trois juges, et non un seul, décident de libérer un criminel une fois sa peine de sûreté purgée, ndlr]

Ma première réaction à ce moment-là était une totale incompréhension.

Ensuite, j’ai très mal compris, accepté la façon dont un homme politique, avec des responsabilités importantes au niveau de l’Etat, encore plus importantes maintenant, était capable de mettre en cause un seul magistrat sans chercher à comprendre si la loi avait été appliquée, dans quelles conditions la loi avait été appliquée et la façon dont les choses s’étaient déroulées pour amener à cette décision favorable. »

Voilà l’impression de fond que confirme le livre de Moisan : celle d’un Président qui court-circuite la justice en jouant tour à tour de sa puissance de feu médiatique et des discrets rouages de ses réseaux.
En 2007, Woerth intervenait en faveur de Courroye…

Car si Sarkozy vilipende des magistrats (surtout des juges), certains autres (surtout des procureurs) ne s’offusquent pas du tout de la manière dont il les traite. A l’inverse, ils semblent faire corps avec lui et ses intérêts.

Patrick Ouart, pendant longtemps « vrai garde des Sceaux » sous Rachida Dati, un « homme de pouvoir et de réseaux ». Yves Bot, que Sarkozy appelle « mon procureur ».

Ou le célèbre Philippe Courroye, dont Dorothée Moisan révèle qu’il a sollicité en 2007 une intervention d’Eric Woerth pour se faire rembourser un déménagement de quelques milliers d’euros… ce qui n’a pas dû l’aider à enquêter sur les liens de Woerth Eric avec la famille Bettencourt, en tant que procureur de Nanterre, l’été dernier.

On peut ajouter à la liste Jean-Louis Bruguière ou Laurence Vichnievsky, pour ne citer que les plus connus. Et la « sarkozette » Rachida Dati, bien sûr, une magistrate qui constitue « la plus grande claque que le Président ait jamais infligée à la magistrature », selon Moisan.

Au final, écrit-elle,

« en quelques années, Nicolas Sarkozy a su phagocyter les hauts postes de la justice. Une toile d’araignée dont la gauche aura beaucoup de difficulté à se défaire si elle revient un jour au pouvoir ».

Rue89 a choisi de publier des extraits intéressants en ce qu’ils mêlent plusieurs facettes des relations de Nicolas Sarkozy avec la justice : Françafrique [13], justice des copains, soupçons de financement politique pour son camp, et relations avec les milieux d’affaires.
► Comment Sarkozy a (pour l’instant) échoué à sauver Pierre Falcone [14]
Comment Sarkozy a (pour l’instant) échoué à sauver Pierre Falcone

En 1993, l’Angola est dévasté par l’une des guerres civiles les plus sanglantes du XXe siècle. Le président José Eduardo Dos Santos cherche à acheter des armes pour terrasser les rebelles de l’Unita. La France refuse. Il contacte alors Pierre Falcone.

Aux côtés de son associé israélien d’origine russe, Arcadi Gaydamak, l’homme d’affaires procure à l’Angola, sans l’aval de la France, chars, navires, obus et hélicoptères dénichés dans l’ex-bloc soviétique. Montant de ces ventes sur cinq ans : 790 millions d’euros.

Pour favoriser leur trafic, Falcone et Gaydamak auraient, selon l’accusation, arrosé en cash leurs obligés français, dont l’ancien ministre Charles Pasqua et son ami Jean-Charles Marchiani, et versé de substantiels pots-de-vin à une trentaine d’officiels angolais, au premier rang desquels le président Dos Santos.

En 2000, la France ouvre une enquête sur ces ventes qu’elles soupçonnent illégales. Elle est confiée aux juges Philippe Courroye et Isabelle Prévost-Desprez qui à l’époque travaillent main dans la main. Aucun Angolais ne figure parmi les mis en examen, mais l’homme fort du pays n’apprécie guère d’être dépeint par les enquêteurs français comme un contrebandier corrompu. Pas plus qu’il ne goûte la mise en cause de son intermédiaire providentiel, Pierre Falcone.

Pour Luanda, il y a eu feu vert de Paris et il s’agit de ventes d’armes régulières à un Etat légitime et souverain. Point final. Piqué, Dos Santos rompt toute relation avec Paris. Et, en 2003, il nomme Pierre Falcone ambassadeur de l’Angola auprès de l’Unesco. Une manoeuvre qui lui permet de le protéger juridiquement.
Sarkozy en Angola pour Total, Bolloré, Bouygues et Areva

Dès son élection, Nicolas Sarkozy tente de renouer le contact. Pas question de se brouiller avec le premier producteur d’or noir de l’Afrique subsaharienne, surtout quand Total est le deuxième opérateur pétrolier en service dans le pays.

En novembre 2007, Claude Guéant joue les éclaireurs auprès de Dos Santos. Il ouvre le chemin à son champion. Le 23 mai 2008, Nicolas Sarkozy fait dix-sept heures d’avion pour rester cinq heures à Luanda, avec dans ses valises les patrons de Total, Bolloré, Bouygues ou encore Areva : c’est la première visite d’un président français depuis dix ans. Un événement. Les deux chefs d’Etat se félicitent d’avoir tourné « la page des malentendus du passé ». Face à la presse, pas un mot sur l’Angolagate. Pourtant, la rencontre entre les deux dirigeants n’a tourné qu’autour du procès prévu en octobre.

La réconciliation porte rapidement ses fruits. Mi-juillet, le ministre de la Défense Hervé Morin envoie aux avocats de Pierre Falcone une lettre susceptible de faire capoter le procès. Les armes n’ayant pas transité par le territoire français, écrit le ministre, aucune autorisation n’était nécessaire. Et sans infraction, pas de procès !

Alors que le dossier s’est construit sur une plainte du ministère de la Défense, la même autorité vient soudain dire : « Circulez, y a rien à voir. On n’a plus rien à vous reprocher. » On a rarement vu intervention politique plus explicite.

Pierre-François Veil, qui conseille Falcone, se rue alors triomphant dans le bureau du juge Jean-Baptiste Parlos. « Il n’y a plus de procès ! » jubile-t-il. C’est mal connaître le président de la 11e chambre, un magistrat courageux que la raison d’Etat n’effraie pas. En dépit de pressions peu discrètes de l’Angola, voire de filatures, celui-ci tient bon et écarte la lettre du ministère. Le procès de l’Angolagate s’ouvre le 6 octobre 2009.
Le « laisser-faire » de la France pour protéger « ses intérêts »

Survient la seconde offensive. Sur un ton menaçant, l’Angola réclame l’arrêt du procès et la restitution de toutes les pièces du dossier, en vertu du secret-défense. En vain.

Enervé du ton adopté par l’avocat de Luanda, le président Parlos s’enquiert même publiquement de savoir si « les juges seraient inquiétés » par les autorités angolaises et fait acter la réponse, négative, par la greffière.

Durant quatre mois, Pierre Falcone va répondre avec suffisance aux questions du tribunal. Car il se sait protégé par son immunité diplomatique et par les autorités françaises, soucieuses de bichonner Dos Santos et son pétrole. Chaque jour, la tension est plus palpable.

Le 11 février 2009, dans un réquisitoire exemplaire, le vice-procureur Romain Victor décrit « l’ambiance de plomb » et « les menaces à peine voilées » qui ont émaillé le procès. Courageux et pas bégueule, le jeune parquetier évoque le « laisser-faire » de l’Etat français qui a cherché à protéger « ses intérêts économiques et stratégiques ».

Quant à la démarche d’Hervé Morin, en juillet, elle est « extraordinaire » brocarde le magistrat, car c’est tout de même « une lettre d’une autorité ministérielle adressée à un prévenu de trafic d’armes ! »

La sanction de ce francparler est immédiate. En réintégrant son estrade après le déjeuner, le procureur est blême. « Il avait l’air vraiment secoué », témoigne un avocat présent ce jour-là. Il explique, gêné, que le journaliste de l’Agence France-Presse, qui a publié une dépêche à la mi-journée, a « un peu déformé » ses propos. Sur leurs carnets, les avocats sont pourtant quarante à avoir pris les mêmes notes !

Entre-temps, Romain Victor a surtout été convoqué par Jean- Claude Marin. Les remarques acides du jeune procureur n’ont pas plu à l’Elysée, qui l’a fait savoir au parquet. Mais qu’importe le prix à payer, Romain Victor a fait passer son message.
Falcone condamné à six ans de prison, c’est Hiroshima à Paris

Le 27 octobre 2009, le tribunal parvient à s’affranchir des pressions et condamne Pierre Falcone à six ans de prison ferme, avec incarcération immédiate. C’est Hiroshima à Paris. Sonné, les yeux clos, le businessman se mord les doigts d’avoir écouté ses avocats. Alors qu’il était en Chine, où il réside désormais, ses conseils, rassurés par Claude Guéant et un professeur de droit, lui avaient assuré qu’il ne risquait rien. Le marchand d’armes quitte pourtant le Palais de justice entre trois gendarmes.

Six mille cinq cents kilomètres plus au sud, le président Dos Santos est fou furieux qu’on ait pu jeter en prison le héros qui a sauvé Luanda. L’Elysée est en panique. La filière Guéant reprend du service. Auprès du secrétaire général, un apporteur d’affaires, Alexandre Djouhri, relaie les exigences angolaises. Patrick Ouart affirme depuis bien longtemps qu’on ne peut plus rien faire pour sauver le soldat Falcone.

« Selon lui, toute tentative d’intervention de l’exécutif sur le tribunal ajouterait la “défaite au déshonneur”. »

D’après les informations de L’Express, Djouhri, excédé par cette trop grande prudence, aurait menacé Patrick Ouart en des termes peu équivoques et Nicolas Sarkozy aurait été contraint de lui-même calmer le jeu.

Claude Guéant a les mains libres. Fissa, il décroche son téléphone et appelle son ami Laurent Le Mesle, le procureur général de Paris, pour lui demander de soutenir la demande de remise en liberté déposée par Falcone. L’avocat général présent à l’audience se démène pour défendre l’homme d’affaires et réclamer sa libération. Mais le président de la cour, Christian Pers, reste sourd à ses appels. Dans un arrêt soigné, il explique primo que l’immunité conférée à Pierre Falcone par l’Angola ne tient pas la route, secundo que, une fois en liberté, le loustic a toutes les chances de prendre la fuite avant son procès en appel.

Comme pour se faire pardonner, l’Etat français annonce le même jour au Franco-Angolais qu’en raison d’une « erreur de service », il va réduire de 140 millions à 15 millions d’euros le redressement fiscal imposé à sa société ayant mené les ventes d’armes.
Plus de nouveaux contrats avec l’Angola : « Il y a encore une bouderie »

Le prévenu se pourvoit en cassation. Rebelote. Cette fois, Claude Guéant contacte Jean-Louis Nadal, le procureur général près la Cour de cassation. Mais, une fois encore, les manœuvres secrètes du secrétaire général de l’Elysée avortent : Falcone devra rester à Fleury-Mérogis jusqu’à son procès en appel, prévu début 2011.

En toute logique, c’est Christian Pers qui doit présider cette audience à haut risque. Pourtant, à la Toussaint 2010, le magistrat, qui a déjà commencé à travailler le dossier, apprend qu’il est nommé à la Cour de cassation. Surprenant. Aurait-on cherché un juge plus compréhensif ? En tout cas, Alain Guillou, qui a été nouvellement désigné, est présumé être un magistrat à l’échine plus flexible.

Quelle que soit l’issue du procès en appel, les relations franco-angolaises gardent les séquelles de cette affaire. « Il est sûr qu’il y a encore une bouderie », analyse le spécialiste de l’Afrique, Antoine Glaser.

D’ailleurs, le président de l’Angola, un parfait francophone, l’a manifesté en boycottant le sommet France-Afrique du 31 mai 2010. C’est un second couteau a qui fait le déplacement à Nice.

Quant aux entreprises françaises, elles doivent prendre leur mal en patience. Car, si l’Angola exécute les engagements en cours, les nouveaux contrats ne viennent pas.

► L’ami banquier, son yacht et les neveux du président Ben Ali [15]
L’ami banquier, son yacht et les neveux du président Ben Ali

L’histoire mêle luxe, banquier et marina. Le 5 mai 2006, un yacht de dix-huit mètres, le Beru Ma, disparaît du port de Bonifacio. A cinq heures du matin, les voleurs s’éloignent discrètement du rivage, à bord de ce petit bijou nautique de plus d’un million d’euros. Ils ne savent pas encore qu’ils viennent de dérober le bateau de Bruno Roger, patron de la banque Lazard, accessoirement ami intime du président Chirac et proche du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Mauvaise pioche…

Generali, qui assure le Beru Ma, met un de ses détectives sur le coup. Il s’appelle Jean-Baptiste Andreani. Il remonte d’abord la piste jusqu’en Sardaigne. L’écume le mène ensuite à Sidi Bou Saïd, tout près de Tunis, où il finit par retrouver le yacht. Il prend quelques photos et découvre rapidement que les nouveaux propriétaires ne sont autres que Moez et Imed Trabelsi, deux neveux par alliance du président Ben Ali.

Aussi influents que redoutés, les deux frères sont réputés pour leurs frasques. Ces intouchables se sont déjà fait livrer deux autres navires de luxe, le Sando et le Blue Dolphin, volés sur la Côte d’Azur, mais tels ces envieux qui maigrissent de l’embonpoint des autres, ils en voulaient un plus gros. L’affaire est embarrassante pour l’Etat tunisien.
Retrouvé, le Beru Ma est rapatrié illico à Bonifacio

A Paris, elle est suivie de près. Dans un PV d’audition consulté par l’auteure, le détective révèle aux gendarmes avoir « été contacté directement à deux ou trois reprises par M. Guéant, directeur de cabinet de M. Sarkozy ».

Selon M. Andreani, la direction de la gendarmerie a elle-même été alertée « par M. Sarkozy et ce à la demande du propriétaire, M. Roger […], une relation de M. Sarkozy. » Une fois le Beru Ma retrouvé, il est rapatrié illico à Bonifacio et rendu à Bruno Roger. De cette célérité ne bénéficieront pas les propriétaires du Sando et du Blue Dolphin, pourtant stationnés à quelques mètres du Beru Ma, dans la marina de Sidi Bou Saïd.

La justice française prend alors le relais. Un mandat d’arrêt international est lancé contre les frères Trabelsi. L’affaire est délicate car elle menace de brouiller les relations avec Zine El Abidine Ben Ali. « Sur ce dossier, le procureur d’Ajaccio José Thorel était pendu au téléphone avec Paris », confie un avocat.

Quinze jours après la visite du président Sarkozy à Tunis, en mai 2008, le juge d’instruction Jean-Bastien Risson s’y déplace à son tour pour entendre les deux frères. Ils reconnaissent avoir essayé le yacht mais disent ignorer qu’il ait été volé. Le juge du tribunal d’Ajaccio les met alors en examen pour complicité de vol en bande organisée, un délit passible de sept ans de prison. Il juge leurs explications « insuffisantes pour contrebalancer l’ensemble des éléments à charge retenus à leur encontre ».

Le magistrat français ne les réinterrogera plus jamais. Il les reconvoque pour une confrontation avec les autres mis en cause, mais ils ne viendront pas. De guerre lasse, le 31 juillet 2009, il finit par rendre une ordonnance renvoyant tout ce petit monde en correctionnelle. Le procès doit avoir lieu trois semaines plus tard à Ajaccio.
Une « parodie » de justice « jouée en catimini »

Mais, le jour de l’audience, les simples prévenus apprennent qu’ils seront les seuls à comparaître. Le parquet a décidé que les huit Français seraient jugés en Corse et les trois Tunisiens – les deux Trabelsi et un troisième larron – chez eux. « Il a paru plus simple au parquet de demander une disjonction des faits », se justifie le procureur général de Bastia, Paul Michel. « On ne savait même pas que c’était possible ! » s’étrangle un des avocats du dossier. En effet, d’ordinaire, les juridictions ne jugent pas leurs ressortissants pour des faits commis à l’étranger.

Bilan de l’opération : en France, les voleurs écopent de peines allant de six mois avec sursis à deux ans ferme. Quatre mois plus tard, c’est au tour des commanditaires d’être jugés.

A Tunis. Mokhtar Yahyaoui, un magistrat tunisien révoqué par le pouvoir, raconte l’audience fantoche à laquelle s’est prêtée la justice de son pays. Cette « parodie » écrit-il sur le blog collectif Nawaat, s’est « jouée en catimini » le samedi 30 janvier 2010, « après la fermeture du tribunal et le départ de tout le monde ».

Les deux prévenus vedettes sont absents. L’affaire est pliée rapidement. Imed Trabelsi est acquitté et son frère Moez, condamné à un an avec sursis.
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"Le justicier, enquête sur un Président au-dessus des lois" de Dorothée Moisan [18]

Links :
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Herzog
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Villarceaux
[3] http://www.rue89.com/2007/09/18/un-soupcon-de-vantardise-sur-les-cv-ministeriels
[4] http://www.rue89.com/tag/clavier
[5] http://www.rue89.com/tag/sarkozy-off
[6] http://www.rue89.com/2010/04/03/depuis-lelysee-la-chasse-aux-rumeurs-sur-les-sarkozy-sintensifie-145953
[7] http://www.rue89.com/tag/clearstream
[8] http://www.rue89.com/tag/attentats-de-karachi
[9] http://www.rue89.com/tag/bettencourt
[10] http://www.rue89.com/schneidermann-9-15/2010/09/27/lagarde-vs-cahuzac-30-millions-ou-plus-de-200-millions-pour-tapie-1684
[11] http://www.rue89.com/2009/11/12/angolagate-pasqua-souffle-le-show-mais-pas-leffroi-125781
[12] http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Cremel
[13] http://www.rue89.com/tag/francafrique
[14] http://www.rue89.com/2011/01/06/sarkozy-et-la-justice-petites-phrases-et-grosses-pressions-183538?page=1#
[15] http://www.rue89.com/2011/01/06/sarkozy-et-la-justice-petites-phrases-et-grosses-pressions-183538?page=2#
[16] http://www.rue89.com/tag/affaires
[17] http://www.rue89.com/tag/justice
[18] http://livre.fnac.com/a3254657/Dorothee-Moisan-Le-justicier?Origin=E89_EDITO

Source TERRA : http://www.rue89.com/2011/01/06/sarkozy-et-la-justice-petites-phrases-et-grosses-pressions-183538

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