Swaps 110 : RDR, de la diabolisation à l’oubli
Le dernier numero de la revue Swaps est disponible en ligne et téléchargeable en PDF :
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Swaps 110 : RDR, de la diabolisation à l’oubli
Cette 110e édition de Swaps s’ouvre sur un constat. Celui des chiffres. Non pas ceux issus du ministère de l’Intérieur en matière de répression, mais ceux de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). On y lit que la demande de cocaïne n’a jamais été aussi forte : 1,1 million de personnes en ont pris au moins une fois en 2023. Ce chiffre a quasi doublé en un an (600 000 en 2022). Même si le cannabis reste le numéro 1 des produits classés stupéfiants, puisque cinq millions en consomment. Les drogues de synthèse, in ou hors cadre du chemsex poursuivent leur percée, les consommateurs de MDMA passent de 400 000 à 750 000 personnes entre 2019 et 2023 (lire p. 3).
D’où un nouveau dossier sur la réduction des risques (RdR) —le cœur éditorial de Swaps— qui s’introduit par un coup de gueule de Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Montpellier. Ou comment expliquer que la politique est passée de la diabolisation à l’oubli des usagers. La prévention des addictions est « au point mort », nous dit cet universitaire. Fustigeant que « face à des ministres de la Santé mutiques, les ministres de l’Intérieur se sont emparés du sujet pour en faire un marqueur d’autorité. À coup d’amendes forfaitaires délictuelles et de spots télévisés simplistes diabolisant les usagers, ils ont brisé le cadre juridique de la lutte contre les stupéfiants qui, depuis 1970, avec maladresse parfois, faisait de la question des drogues un enjeu de santé publique, pour en faire un enjeu de sécurité publique ». Pour ne citer qu’un exemple, la loi narcotrafic autorise les préfets à fermer pour six mois tout établissement ou lieu ouvert au public ou utilisé par le public lorsque les conditions de son exploitation ou de sa fréquentation rendent possible la commission d’une infraction de trafic ou encore en cas de troubles à l’ordre public (art. L333-2 et L333-3 C. sec. Int.). Texte suffisamment flou pour menacer les lieux associatifs de RdR.
Plus largement, et plus apaisé, on lira avec attention la recension par Pierre Chappard, Fabienne Pourchon et Jean-Pierre Couteron (p. 15) d’une nouvelle version de « l’aide-mémoire de la RdR » à paraître treize ans après sa première édition. Ce dossier RdR se ferme par un voyage de Christelle Destombes à Strasbourg où se tenait, les 18 et 19 juin dernier au Conseil de l’Europe, la quatrième édition du colloque international des salles de consommation à moindre risque (SCMR p. 18). Double constat : celui de la pertinence des SCMR et le retard tout en incertitude de la France. Rappelons qu’en Suisse les salles de consommation existent depuis 1986, il en existe 7 à Berlin, 13 à Barcelone, et seulement 2 en France, à Paris et à Strasbourg, toujours dans la précarité de leur statut « expérimental ». Expérimental, mais parfaitement évalué, comme le développent Élisabeth Avril, Jamel Lazic et Gauthier Waeckerle (p. 21). Rappelant qu’à l’heure où s’écrivent ces lignes, il n’y a aucune position officielle quant à la poursuite ou non des deux HSA au-delà de décembre 2025, « ce qui occasionne beaucoup de stress et d’anxiété autant auprès des usagers que des équipes investies de longue date dans ce projet ».
Il est aussi question dans ce numéro d’un autre phénomène surmédiatisé par l’affaire de Gisèle Pelicot et des viols de Mazan, mais encore sous-estimé tant sur le plan épidémiologique, d’offre de prise en charge et de prévention que dans sa réponse juridique (lire p. 9). Une mission gouvernementale conduite par la députée Sandrine Josso, elle-même victime de soumission chimique, formule une cinquantaine de recommandations. Une est déjà activée : le remboursement par l’assurance maladie des analyses toxicologiques. D’autres ressemblent à des vœux pieux comme un renforcement des moyens dédiés à l’éducation affective et relationnelle (école élémentaire et primaire) et à la sexualité (collège et lycée). Les acteurs en santé sexuelle butent (que ce soit contre les violences sexuelles ou pour la vaccination HPV) contre un constat atterrant : selon un avis de 2024 du Conseil économique, social et environnemental (Cese), moins de 15 % des élèves auraient réellement accès à ces cours d’Evars pourtant obligatoires depuis 2001…
Seule bonne nouvelle conditionnelle, le ministère de la Santé a annoncé le 20 mars 2025 que les textes définissant le cadre de production et d’autorisation du cannabis à usage médical ont été notifiés à la Commission européenne (lire p. 2). Ces textes pourraient être publiés dans les prochains mois, après leur examen par le Conseil d’État. C’est un « ouf ! » temporaire de soulagement pour les quelque 2500 patients enrôlés dans l’expérimentation de l’usage médical du cannabis depuis mars 2021.
Gilles Pialoux et Didier Jayle