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Il faut savoir terminer une guerre

Cannabis : La défonce nationale

Par le Docteur Jacques Barsony

En 1916, en pleine guerre mondiale, le Parlement, comme s’il ne manquait que ça, vota une autre guerre. Une guerre qui devait durer 100 ans contre un ennemi dont le nom figurait sur une liste, la liste des drogues prohibées ou liste des stupéfiants.

Quelle mouche nous a piqués ? Jusqu’au début du 20ème siècle toutes les drogues étaient en vente libre sur toute la planète. On vivait en paix. On aurait dû se douter qu’en faisant la guerre aux drogues c’est aux tendances humaines les plus naturelles et les plus répandues qu’on la faisait. Autant dire que c’était perdu d’avance. Un homme ça s’empêche, mais on le l’empêche pas. La suite allait le démontrer.

En effet, la guerre à la drogue n’a pas eu l’effet escompté, partout, la consommation des drogues s’est développée, la drogue a gagné. Non pas à cause de quelques « gros bonnets », mais grâce à la mobilisation générale de millions... de petits bonnets : en France, 13,4 millions de personnes ont contrevenu à la législation sur les stupéfiants en expérimentant, au moins une fois, le cannabis. La victoire de la drogue est celle de tous les Français.

Cannabis : une drogue molle

Cependant le cannabis n’est pas un produit de consommation ordinaire, même pas une drogue ordinaire. C’est la plus ancienne, la plus répandue mais aussi.... la moins connue de toutes les drogues, on ne sait qu’en penser, les parents en ont trop peur, les enfants pas assez.

Le cannabis est la drogue rebelle par excellence. « Avec ses 60 métabolites actifs, ses récepteurs très nombreux et dispersés dans l’organisme, son comportement paradoxal dans les synapses nerveuses, son stockage dans le cerveau et son relargage différé, sa longue, voire très longue durée d’élimination (3 semaines et jusqu’à 3 mois pour les gros consommateurs) il se différencie de toutes les autres drogues. ». L’héroïne, la cocaïne sont, si l’on ose dire, sur des rails, le cannabis, lui, bat la campagne. Ses effets sont insidieux, variables, imprévisibles, changeants. Les tartufes fervents défenseurs du cannabis médical peuvent aller se rhabiller, le cannabis n’a pas la première qualité qu’on attend d’un médicament : la fiabilité. On connaît mieux les drogues dures et l’alcool que le cannabis.

Alcool contre cannabis

Le problème de l’alcool ce n’est pas l’alcool, c’est l’ivresse ! (autorisée chez soi mais pas au volant, au travail ou sur la voie publique...) c’est elle qui fait son attrait. Si, bien qu’intrinsèquement plus dangereux que le cannabis, l’alcool est légal, c’est parce qu’on sait, au milligramme près, mesurer cette ivresse et en déduire une législation et une réglementation adaptée.

On ne sait pas faire la même chose pour l’ivresse cannabique, beaucoup plus discrète elle passe facilement inaperçue, même les tests de dépistage ne peuvent la prouver.

Un test positif au cannabis prouve la présence de cannabis dans l’organisme, sans préjuger de la date de consommation (qui peut être très éloignée) ni même de l’intentionnalité (cannabisme passif) mais ne prouve, ni à plus forte raison ne quantifie, l’ivresse. « Un verre ça va, trois, bonjour les dégâts ! » Rien de tel pour le cannabis : l’ivresse cannabique survient dès le premier joint. Le fumeur quotidien (il y en a plus de 500.000) surtout celui qui commence dès le matin est « ivre » toute la journée, autant dire un ivrogne. C’est une plante douée de propriétés psychotropes, l’ivraie, qui a donné le mot ivresse. Le fumeur d’habitude est un ivrogne... en herbe, soit, mais un ivrogne authentique. Moyennement investi dans la réalité, légèrement décalé, cool en dehors, angoissé en dedans, l’ivrogne en herbe procrastine. Il peut donner le change mais c’est un figurant dans sa propre vie. Il s’enlise doucement, le cannabis est une drogue molle.

Apprendre à compter jusqu’à deux

La question première des drogues n’est pas celle de la santé, c’est celle de la gestion des états de conscience modifiés, or, trop de jeunes ne savent pas se droguer.

Leurs discours évasifs doivent être confrontés à ce principe élémentaire qui s’applique à toutes les drogues aussi bien qu’à l’alcool : les états seconds sont faits pour rester seconds et les états premiers, premiers. Avant de légaliser le cannabis il faudrait au moins savoir compter jusqu’à deux.

Et puis il y a une autre question.

La légalisation du cannabis pourrait-elle déplacer le désir de transgression vers d’autres drogues ?

Comme on n’en sait rien, il faut imaginer. Projetons-nous donc dans un avenir possible mais sans doute très lointain d’un pays du cannabis légal.

« Imaginons le nouveau paysage rural : les convois chargés de feuilles vertes traversant la campagne, au volant des tracteurs, les nouveaux paysans encore pleins d’acné, le pétard à la bouche. Les conflits avec les distributeurs et les grainetiers, le blocage des autoroutes pour stopper l’importation de cannabis étranger, la question sanitaire des plants génétiquement modifiés, du « cannabisme passif », de la concentration en THC, du cannabis biologique et du synthétique. Les tonnes de cannabis enflammées devant les préfectures pour protester contre les taxes trop élevées, la fumée, les échauffourées entre manifestants et policiers défoncés. Les visites à la ferme, les produits dérivés, la publicité, les VRP. De quoi vous enlever toute envie de vous droguer. »

Du moins avec du cannabis.

Mais revenons au présent et à la réalité

Nous sommes dans une époque de polytoxicomanie et l’offre de cocaïne est devenue plus importante. Les prix ont baissé et ce produit correspond mieux au monde d’aujourd’hui : on est, quand même, beaucoup plus performant sous cocaïne que sous cannabis et les consommateurs disent souvent économiser sur l’un pour acheter l’autre.

Restent l’héroïne dont la consommation augmente à nouveau et les nombreuses drogues synthétiques accessibles légalement sur Internet.

Dépénaliser la consommation des drogues ?

La question du cannabis ne peut être isolée de celle des autres drogues. Leur légalisation n’étant pas concevable, c’est leur dépénalisation qu’il faut envisager.
Pas d’affolement, il s’agit simplement d’éviter aux simples consommateurs interpellés, innocents de tout trafic, l’humiliation de la garde à vue, la comparution devant les tribunaux, la condamnation pénale, la prison parfois, l’empêchement de certaines carrières voire la perte de leur emploi.

En 2009, en France, près de 160 000 personnes ont été interpellées pour une infraction à la loi sur les stupéfiants (ILS). 86 % de ces interpellations concernaient l’usage personnel.

La « pénalisation » a atteint des niveaux jamais égalés. Pourtant les peines sont moins lourdes et plus diversifiées, seulement 16 % des condamnations pour usage se sont traduites par des peines d’emprisonnement. Cette clémence est toute relative, la loi sur la récidive peut jeter en prison n’importe quel consommateur occasionnel un peu malchanceux. L’impression générale est que poussé par la réalité, on s’oriente, sans oser le dire, vers une dépénalisation de fait.

La dépénalisation aurait pourtant des arguments solides, si l’on en croit l’article 19 de la Constitution d’un pays comme l’Argentine : « Tout ce qui est en dessous de ma peau appartient exclusivement à ma juridiction. Je suis le seul à décider ce qui peut ou non franchir cette frontière. Je suis un état souverain et les limites de ma peau sont pour moi bien plus sacrées que les confins politiques de n’importe quel pays. » Le pays des droits de l’homme ne devrait pas être en reste.

D’autre part, s’il y a un consensus scientifique sur le caractère pathologique des addictions, souvent comparées au diabète par les bouleversements physiologiques qu’elles provoquent, alors, les toxicomanes, pas plus que les diabétiques, n’ont leur place devant les tribunaux.

La guerre aux toxicomanes n’est pas justifiée, il est temps d’en finir et de s’occuper enfin de nos blessés.

Le traité de paix

- Respecter les libertés individuelles en dépénalisant la consommation des drogues. Que personne ne puisse être poursuivi ou condamné du simple fait d’en avoir consommé.

- Arrêter de discriminer les drogués, les traiter comme les autres addictés.

- Responsabiliser les individus en leur donnant une véritable information sur les drogues et les états seconds non réduite à la question sanitaire et dénuée de préjugés.

- Développer la recherche, promouvoir des expériences innovantes et regarder ce qui se fait à l’étranger.

Tels pourraient être, avec les drogues, les termes d’un traité de paix.

La légalisation du cannabis attendra qu’on soit un peu plus civilisé.

Docteur Jacques Barsony

Médecin généraliste

Président Association

Passages Réseau Addictions 31

Auteur de « Lettre ouverte aux drogués et aux autres s’il en reste »

Ed JBZ

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