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Légalisation du cannabis

Cannabis : Réponse à Stéphane Gatignon et à quelques autres

par Robert Delanne

Depuis 1970, la guerre totale de BUSH père contre la drogue a gagné l’Europe, et, en France, les pouvoirs publics se sont déchaînés pour créer autour de la drogue et des drogués un climat de peur qui s’est traduit par une véritable chasse aux sorcières. Il fallait convaincre les opinions publiques que la prohibition, assortie d’une répression musclée, était la seule solution au problème de la toxicomanie et du trafic ; les détourner de toute curiosité mal venue et en faire des complices puisque c’était pour leur bien !

Suivit une formidable campagne de désinformation.

Mitterrand, à l’occasion des fêtes du bicentenaire, donnait le ton : « …(devant)la puissance meurtrière des trafiquants de drogue (qui) s’installent en pouvoir concurrent des états et prennent rang dans les organisations internationales du crime, il faut oser penser et dire qu’aucun compromis n’est possible avec cette chaîne de corruption, avec ces agents de la mort … » ……roulements de tambours……

Et dans la presse, quelques titres pris au hasard des manchettes de premières pages : « L’enfer de la drogue », « Piège mortel », « au bout de l’enfer », « La drogue tueuse ! », « les marchands de mort », « dans les griffes de la mort ! »….

Et les déclarations officielles, les média et une littérature racoleuse (plus c’est horrible plus ça fait vendre de papier et d’heures d’antenne, Gérard Borg, Louis Sapin….qui furent mes amis) qui décrivent à l’envi le calvaire des drogués, les terrifiantes crises de manques…Pas une émission, pas un texte officiel n’y échappe.

Le cinéma et les séries télévisées américaines de l’époque (1970/1990) ont battu tous les records (même encore aujourd’hui).

Et le cinéma français n’était pas en reste. Cet extrait du film L’Union sacrée de Alex Arcady, dans la bouche du commissaire (Bruno Crémer) à ses inspecteurs : « vous devez vous comporter comme des croisés chargés de défendre le monde occidental ! » (pour quand les bûchers de l’inquisition ?)

Ou encore cet extrait d’un film de Georges Lautner, Présumé dangereux : « C’est de l’héroïne, monsieur Lepsky (Michael Brandon) , elle aura une piqûre toutes les 4 heures ; dans deux jours elle sera totalement dépendante de la drogue ; et si on arrête, elle nous dira tout ce qu’on veut savoir » (j’ai eu l’occasion d’interroger de nombreux toxicos, ce genre de répliques les faisait plutôt rire. L’un d’eux, politoxico depuis plus de 20 ans m’a même dit : « oh oui, j’ai vraiment connu le manque quand j’avais pas dix balles pour m’acheter un paquet de clopes ! »)

Le drogué, épave hagarde, l’abject trafiquant cynique assassin, les flics héroïques, se retrouvent dans tous les thrillers. Ou presque.

Les ‘bons gangsters’ eux-mêmes s’en démarquent. Voir Le Parrain. Le meurtre, le vol, l’alcool de bois, le racket, le viol, oui. Mais le drogué ? Ah non ! Pas se salir les mains. « On a beau être voyou , on a sa morale !! … pas vrai, Aldo ? » _ « Sûr ! Morty » (de pierre Dac dans Malheur aux barbus.

Sans oublier les confessions de drogués répondant aux critères officiels.

En quelques décennies, c’est un véritable terrorisme qui s’est mis en place et qui ferma la porte à toute tentative de recherche d’une autre solution.

Et cette manipulation du public a atteint son but : créer la peur et ouvrir la voie au « tout sécuritaire ». Et au renforcement des pouvoirs policiers qu’on déplore aujourd’hui.

Goebels a dit un jour : « un mensonge répété mille fois devient une vérité ». Et quand on aborde le sujet, les gens vous ressortent comme évidents des clichés médiatiquement répétés des milliers de fois. Et quand Daniel Vaillant explique que le 15 juin il présentera sur le cannabis un rapport qui est le fruit du travail d’une dizaine de parlementaires qui ont auditionné des policiers, des magistrats, des sociologues, des addictologues et des…’malades’… Pourquoi des malades ? Ça me rappelle les discours d’il y a 30 ans. ’Des usagers’ eut mieux convenu. Mais un fumeur de cannabis est obligatoirement « un malade » dans l’esprit d’un ancien prohibitionniste. Les clichés ont la vie dure et j’ai parfois l’impression que ces messieurs ne pensent pas. Ils répètent. (dans une interview à l’Humanité, J.E. Hallier a dit in jour : « la pire des censures est celle qui résulte d’un accord avec soi-même du journaliste décervelé qui devance les ordres qu’on n’a même plus besoin de lui donner »)

Mais cette faute de vocabulaire laisse mal augurer de débats à venir. Il y a dans les têtes trop de préjugés et de fantasmes malsains sur les drogues.

Si j’ai commencé par un aperçu de ce que fut la médiatisation anti drogue des vingt premières années de la prohibition, c’est qu’elle fait peser une lourde hypothèque sur tous les débats à venir (s’il y en a). Car les esprits restent profondément pollués. Et je ne crois pas qu’il puisse y avoir un réel changement dans la politique des drogues sans une réelle pression populaire. Mais cette pression populaire n’existera jamais sans que la population soit informée sur ce qu’est véritablement la prohibition, ses enjeux, qui en profite, les intérêts inavouables qu’elle masque, et que la population soit aussi informée de ce que sont les drogues, leur rôle dans l’histoire de l’humanité, leurs dangers et aussi leurs bienfaits. ( mais oui !)

Renvoyons le diable à la niche.

Et dans le même temps où le pouvoir polluait les esprits, nous, anti-prohibitionnistes, nous nous battions contre cette prohibition que la commissaire européenne Emma Bonino nommait, preuves à l’appui, « crime contre l’humanité ».

Pendant plus de 20 ans il y en eut des débats contradictoires, des conférences où chaque fois nous dressions le même inventaire sans cesse remis à jour des méfaits de la prohibition, dénonçant en vrac la corruption des états, de certains politiques, des services spéciaux, les incompétences et les absurdités du système prohibitionniste, l’idiotie des lois de 1970, la répression féroce et inutile, les lois liberticides, les violations des règles des juridictions correctionnelles, la duplicité des U.S.A., l’échec annoncé d’une guerre imbécile et ses conséquences dans la société.

A perte de vue nous avons débattu sur les dangers ou l’innocence de certaines drogues, dénoncé l’amalgame fait entre usage et abus.

Nous avons usé de l’ironie, du bon sens.

Mais en fin de compte nous nous sommes battus sur leur terrain au cours de débats truqués où, à notre bon sens, à nos arguments avérés, ils opposaient l’émotion, la tragédie des familles de drogués, le FLEAU, nos enfants menacés. Nous avons joué leur jeu quand nous disions que pour abattre le fléau et la puissance des cartels il fallait supprimer la prohibition, admettant de facto l’existence du fléau et des cartels. Mais quel fléau ? quels cartels ?

Nous avons tenu notre rôle dans le psychodrame politique habituel devant un public anesthésié par une hystérie médiatique anti-drogue digne des chasses aux sorcières du moyen âge .

Après quelques années d’un silence relatif le débat redémarre sur fond de problèmes sécuritaires.

Alors que nous sommes à la veille d’élections capitales pour notre avenir, il me semblait que ces débats sur drogue /prohibition faisaient un peu diversion et je ne voulais m’en mêler.

Mais à la longue, tout ce que je lis et entends sur le sujet me râpe le cuir, aussi bien la naïveté et apparemment l’inculture des anti-prohibitionnistes que les mensonges des prohibitionnistes. C’est le même psychodrame depuis 41 ans.

De plus, dans l’accent mis aujourd’hui sur l’aspect sécuritaire du problème, je sens venir les pires menaces sur nos libertés, sur la démocratie, et de plus, si j’en juge par certaines déclarations de personnalités de gauche (je ne parle pas des socialistes) avec notre complicité.

Depuis 40 ans, on nous fait croire que la drogue et la toxicomanie posent un grave problème de santé publique, et qu’interdire les drogues est le devoir impératif des gouvernements responsables, de tout mettre en œuvre pour éradiquer le fléau. Devoir moral !! Aujourd’hui, c’est notre sécurité, nos vies, nos biens qui sont menacés.

Et comme le problème est posé à l’envers, le public risque de marcher.

Depuis 40 ans, le postulat de départ est que la drogue, la toxicomanie sont une menace pour nos sociétés. Or, l’histoire prouve que les drogues et la toxicomanie ne sont devenues problèmes qu’avec la prohibition.

(Qui sait par exemple qu’en 1970, date des lois prohibitionnistes, il y avait moins de toxicomanes qu’en 1930. cf les archives de la police)

En 2003, deux études parues dans « COMBAT » expliquent avec une grande rigueur historique comment les choses se sont passées pour en arriver à la situation actuelle.

Comme je suis paresseux (avec délice), je ne vais pas redéployer l’explication, je vous joins les textes en PJ .

Pour les paresseux (et j’espère qu’il y en a), voici un bref résumé de ce qu’on y trouve :

- outre l’histoire des drogues et de la prohibition, comment les USA ont utilisé la prohibition de l’opium pour affaiblir la GB en Asie, prendre sa place dans l’Océan Pacifique, pour affaiblir les laboratoires pharmaceutiques européens et développer leur propre industrie pharmaceutique, comment ils ont utilisé les drogues et la prohibition dans leur lutte contre le communisme…et bien d’autres joyeusetés totalement immorales et tellement rentables…

Il y est démontré pourquoi la prohibition n’a jamais eu pour but de protéger les populations mais a au contraire dynamisé les trafics et les toxicomanies. Comment la prohibition pousse les usagers à des conduites à risques par peur de la police (sida, hépathite C) ?...

Les overdoses par les coupages incontrôlables …l’explosion des drogues de synthèse qu’on peut même fabriquer dans sa cuisine (une brochure « comment les fabriquer chez soi » était encore il n’y a pas longtemps vendue en kiosque aux USA (aujourd’hui ??). Et qui sont cent fois plus dangereuses que les drogues classiques par leurs effets irréversibles sur le système nerveux et les poumons.

Il y a quelques jours à la télé, un imbécile pontifiant disait sans rire : « la prohibition et la répression, ça marche. La preuve, en Angleterre, il y a depuis quelques temps une baisse de la consommation de drogues » (après 40 ans de prohibition !!!). Il oubliait de dire que l’alcoolisme des jeunes y augmente de façon inquiétante. Car la toxicomanie n’est pas affaire d’un produit mais relève de problèmes relevant des dysfonctionnements de la société. J’en ai connu des poli-toxicos qui, quand ils ne trouvaient pas leur héroïne, se défonçaient à l’alcool, ou à l’éther, ou à la colle…(ah, j’oubliais : l’imbécile pontifiant était un criminologue ‘distingué’ !...)

Mais surtout, il ne faut jamais l’oublier, depuis 1970, la prohibition a été utilisée pour multiplier les lois liberticides sécuritaires avec l’accord de la population qu’ils ont convaincu que c’était pour son bien ! Le pouvoir fait la même chose avec le terrorisme. Même combat contre la démocratie.

Et, dans L’Humanité du premier juillet, dans la rubrique « société » je lis :

« SIX PROPOSITIONS POUR SEVRAN.

(Elles viennent de François Asensi député et maire communiste de Tremblay-en-France)

Créer au sein du ministère de l’intérieur une cellule de renseignement et d’intervention dédiée au trafic de drogue à Sevran. Ainsi que le renforcement des effectifs de la brigade spéciale de terrain. Il préconise la présence permanente des forces de police et la mise en place d’un dispositif de vidéo-surveillance. »

Ah ! aurait pu dire Coluche, que voilà une solution qu’elle est bonne et qui fera vachement plaisir à Sarkozy : toujours plus de flicage, toujours plus de répression !...Alors qu’on ne fait que ça depuis 41 ans et qu’on sait que ça ne marche pas. Le trafic cherchera une zone plus calme et continuera de plus belle.

Bien sur, Asensi dit aussi, et il a raison, que la question sociale est au centre des problèmes de sécurité et qu’il faut s’attacher à la lutte contre le chômage, contre les injustices fiscales, au renforcement des services publics…mais la population retiendra surtout la première proposition (flics/vidéo-surveillance) promesse immédiate de plus de sécurité. Et j’y vois un danger pour l’avenir.

En s’attaquant à la délinquance liée au trafic, on s’attaque aux effets, non à la cause du problème : la prohibition. Et ainsi on fait le jeu des prohibitionnistes. C’est d’ailleurs ce qu’on fait depuis 40 ans en dénonçant la prohibition pour ses conséquences, et jamais pour ce qu’elle est : l’un des outils que les dominants utilisent pour pérenniser leur domination. Et un outil terriblement efficace puisqu’il agit avec l’accord-complice-inconscient de la population qu’ils ont convaincu que c’était pour son bien .

Depuis 40 ans, leurs mensonges ont pollué les esprits et le public ne voit qu’une chose : les drogues et les trafics sont responsables de leur insécurité, et ils réclament davantage de répression. Et même si de plus en plus de Français reconnaissent que la prohibition est un échec, ils l’attribuent davantage à l’insuffisance des moyens mis en œuvre qu’au fait que c’est la prohibition elle-même qui nourrit l’insécurité ; le chômage et la misère n’apparaissant qu’au second plan comme aggravation du problème.

Et si, au point où on en est arrivé aujourd’hui, je peux comprendre que Asensi réclame plus de flics et plus de vidéo-surveillance, je pense qu’il trompe sa population en proposant des solutions qui ne résoudront rien (c’est ce qui se fait depuis 40 ans avec les résultats que l’on sait) s’il n’explique en même temps le rôle de la prohibition dans ses malheurs et le rôle qu’elle joue entre les mains du pouvoir.

Le public a le droit de savoir, de comprendre les ‘pourquoi’ de ce qui lui arrive, et nous le devoir de lui donner tous les éléments du problème et, en ne le faisant pas, on le maintient dans le statut d’assisté . Et en plus, dans le cas présent, on pérennise une arme utilisée contre lui.

Robert Delanne , le 3/7/2011

Voir en ligne : 1.Bitin.fr

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