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Trafic des Iris : loi du silence et lourdes réquisitions

28.03.2012

JUSTICE - Philippe Vouland avait promis de plaider une demi-heure, pas plus. Il a tenu parole. Mais dans cette demi-heure intense, l’avocat de Zakia Mohamedi, soeur de Taoufiki, gamin de la cité des Iris tué le 8 février 2008 parce qu’on le suspectait d’avoir fait braquer des dealers, avait ramassé deux semaines d’audience instructives et éreintantes. Il se disait stupéfait, "même après des années de barreau", de voir que devant une cour d’assises "on interpelle l’humanité, la société", mieux que ne le fait une élection présidentielle. L’avocate générale allait requérir le lendemain douze à dix-huit ans de prison (lire plus bas) contre les meurtriers présumés de Taoufiki, battu à mort dans un local parce qu’on le soupçonnait d’avoir participé au braquage de dealers. Avant elle, dès lundi soir, l’avocat a pris la parole. Dans un silence des plus épais, troublé seulement, par instants, par les sanglots étouffés de Zakia et de son père...

La famille était venue dans une "quête désespérée de vérité". Mais les avocats des parties civiles avaient demandé aux parents "de ne pas s’illusionner". Ils avaient bien fait. Pendant plus de quinze jours, ils se sont heurtés à un mur de silence obstiné. D’ordinaire, on parle de "loi du silence". Comme d’un principe tacitement admis - et qui d’ailleurs ne s’applique pas qu’aux quartiers que l’on dit sensibles, on le croise souvent en politique. Cette fois, avec douze accusés cuisinés pendant plus de deux semaines, la cour et les parties civiles ont pu l’approcher de plus près. Comprendre de quels matériaux variés se construit ce mur auquel ils se heurtaient. Un mélange de peur, de menaces, de complicités mouvantes, d’alliances et de stratégies changeantes, de hiérarchie, d’emprise des grands sur les petits, de ceux qui sont détenus sur ceux qui comparaissent libres. L’un des avocats racontait l’autre jour, en marge de l’audience, la trouille de son client, les pressions exercées sur lui, par les plus dangereux dans le box. Au final, un brouillage organisé, par les réponses et les silences, pour empêcher la cour d’assises de distinguer de façon fine le rôle de chacun dans ce local où Taoufiki a trouvé la mort.

"Au fond je ne vous en veux pas", leur a dit Philippe Vouland, avant d’appeler par leurs prénoms ceux qu’il nommait, et qui écoutaient sa plaidoirie intensément. "Les hommes traqués, leur a-t-il murmuré, lorsqu’ils pensent qu’ils ont une chance de s’en tirer en passant par un trou de souris, ils tentent de passer par ce trou de souris." Mais au milieu des silences et mensonges sur le meurtre, les accusés ont donné en revanche de nombreux détails sur le trafic de drogue (1). Une vraie peinture sociologique (2), décrite avec précision, une"véritable PME", avec ses hiérarchies, et les compétences qu’elle requiert. Deux semaines instructives donc, et là il était temps pour les parties civiles d’entamer les plaidoiries et les réquisitions, d’essayer de tirer quelques leçons de ce drame.

"Si la vente de haschisch était en vente libre, structurée, dit Philippe Vouland,qu’est-ce qu’ils feraient ceux-là ? Que feraient les tribunaux ? Si dans les cités marseillaises, cela n’a jamais explosé, comme dans tant d’autres endroits, c’est sans doute qu’il y a beaucoup d’associations, de clubs sportifs, mais c’est aussi que le trafic de haschich structure, maintient un ordre, un autre ordre." Un ordre dans lequel il n’y a pas de tribunaux de commerce, pas d’appel, et dans lequel on n’a toujours pas aboli la peine de mort. Puis revenant aux compétences que requiert le trafic, et que de nombreux magistrats, lorsqu’ils jugent, commettent l’erreur de mépriser, l’avocat s’est aventuré dans un parallèle troublant avec un épisode del’évangile selon saint Mattieu, la métaphore du maître confiant des talents (de l’argent dans l’antiquité) à ses serviteurs (lien jésuitique pour se rafraîchir la mémoire). Il s’éloigne du procès, on sent que les accusés le suivent, puis il les y ramène, d’une voix de plomb sur leurs épaules. "Qu’avez-vous fait de vos talents ?"

La phrase reviendra plusieurs fois, en leitmotiv. Il les compare à une armée en campagne qui abaisse ses barrières les plus civilisées, pille, tue, viole, par un phénomène de groupe, de pulsions libérées, lorsqu’elle essuie un épisode qu’elle perçoit comme une injustice, ou quand elle a eu peur, ici lors du braquage du réseau. "Qu’avez-vous fait de vos talents ?" Puis lorsqu’il décrit en détail la mort de Taoufiki, le visage frappé, les coups de pieds qui redoublent, le foie éclaté. Pour la première fois depuis le début du procès, le père du garçon, très religieux, enfouit son visage dans ses mains, il pleure. La voix de l’avocat tonne sans violence. "Voilà ce que vous avez fait de vos talents".

Entrant le lendemain dans le détail du rôle de chacun, l’avocate générale, Martine Assonion, avait un rôle plus délicat. Elle a requis "18 ans a minima de réclusion criminelle" contre Kindy Moulet, présenté durant toute l’audience comme le "gérant", un rôle qu’il a par moments assumé. Contre son "bras droit", Fouad Tir, qui faisait a-t-elle souligné régner la terreur sur la cité, 15 ans de réclusion demandés. Contre Mehdi, le frère de Kindy, joueur de football professionnel décrit par des témoins comme l’un des plus violents lors du passage à tabac, 14 ans. Puis 12 contre cinq autres membres du réseau, également poursuivis pour meurtre, et 7 contre Naïl, le mineur et complice présumé. Pour trois autres accusés, poursuivis pour le passage à tabac d’un second garçon qui avait survécu, 4 ans de prison ont été requis.

"C’est de la barbarie. La responsabilité des uns et des autres, elle est collective et personnelle", a affirmé Martine Assonion au terme d’un réquisitoire de trois heures. La magistrate a voulu détailler la hiérarchie et les rapports dans cette communauté qui faisait régner sa loi sur cette cité du 14e arrondissement. Les plaidoiries de la défense ont commencé mardi. Elles se poursuivent aujourd’hui et demain, à huis-clos, puis le verdict est attendu vendredi.

Olivier Bertrand

(1) Le dossier concernant le trafic, disjoint, sera jugé début juillet à Marseille.

(2) Lire : Derrière le meurtre de Taoufiki émerge le trafic des Iris

Voir en ligne : Pour lire l’article original sur le site Libemarseille.fr

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